Page:La Nature, 1874, S1.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
LA NATURE.

sieurs stations sur la côte, où elles entretiennent des élèves missionnaires, ont prépare la voie aux futurs explorateurs. Depuis trois ou quatre ans il y a un mouvement croissant dans les tentatives privées ou collectives, vers la baie Redscar ; la recherche de l’or, ce grand magicien de la colonisation, a été le principal objectif ; ici, peut-être comme en Australie, il sera le point de départ de la conquête pacifique du travail.

Le gouvernement australien préoccupé des intérêts futurs, organisa au commencement de 1875 une campagne d’exploration vers la côte Sud-Est, totalement inconnue. Le Basilic, spécialement affecté à cette reconnaissance, aborda en premier lieu sur la côte qui s’étend au pied du mont Astrolabe, relevé par Dumont-d’Urville. On trouva une belle baie avec un mouillage abrité au milieu de hautes montagnes, à laquelle on donna le nom du capitaine Moresby. Le Basilic continua sa croisière en suivant la côte vers l’Est, sur une longueur de 140 milles. Il pénétra ainsi au milieu de ce dédale inextricable de récifs de corail, l’effroi des navigateurs.

Le 11 avril, on se trouva dans l’archipel de la Louisiade, qui n’est que la prolongation de la Nouvelle-Guinée. Les relevés hydrographiques permirent de déterminer la configuration exacte des côtes ; jusqu’ici on croyait qu’elles se prolongeaient en pointes, mais on vit que le contour était très-accidenté et qu’il affectait la forme d’une double fourche entourée de nombreux îlots.

Quand le navire venait mouiller au milieu de ces îles, sa haute mâture, la fumée, la facilité d’évolution étaient pour les naturels un grand sujet d’étonnement ; mais ils se hasardaient néanmoins à accoster le navire avec leurs pirogues chargées de fruits et de productions du pays, qu’ils offraient pour de menus objets de fabrication européenne. Les bananes, les cocos, des pierres vertes comme la malachite, des petits porcs, la racine de yam, s’échangeaient couramment contre du fer et des outils. Les relations furent amicales ; on n’eut pas à déplorer de regrettables collisions dans les rapports fréquents avec les indigènes, soit à bord, soit même à terre.

Ces insulaires ont le type bien caractérisé de la race Papoue ; de haute stature, de forme souvent athlétique, ils conservent une grande régularité dans leurs traits. Leur accoutrement dénote une tendance à la parure fantaisiste ; leurs cheveux taillés d’une façon grotesque et enduits d’une pommade pâteuse, leur poitrine bariolée de raies jaunes, leur donnent un aspect pittoresque et bizarre. Ils mâchent constamment le chunam, mélange de chaux vive et de bétel, ce qui colore leurs dents en rouge. La plupart sont cannibales.

La chasse fut très-abondante dans les îles où relâcha le Basilic, quoique les matelots aient éprouvé une difficulté insurmontable à pénétrer dans ces forêts vierges, où la nature tropicale revêt un aspect chaotique. Pour bien se le figurer, il faut mélanger par la pensée les troncs et les arbres gigantesques plusieurs fois séculaires, à une multitude de graminées et de lianes, rehaussées par l’éclat de fleurs aux riches couleurs. Il faut se représenter en outre les admirables chapiteaux formés par une multitude d’espèces de palmiers, portant leurs cimes au niveau supérieur de la forêt, tandis qu’ils sont mêlés dans le bas aux cannées, aux agaves, aux bégonias et aux riches feuillages des musacées. Pour compléter le tableau, joignez aux vastes parasols des palmiers les fougères arborescentes, les jeunes caccias aux feuilles pennées, les immenses faisceaux produits par les parasites, tombant comme des crinières gigantesques des branches qui les supportent. Tout cet ensemble se dessinant dans une obscurité où les rayons du soleil tropical, peuvent à peine pénétrer, donnera une idée de cette luxuriante nature, dont nos bois d’Europe aux essences d’arbres peu nombreuses ne peuvent se comparer.

La croisière du Basilic se termina sans accidents, malgré les difficultés d’une navigation dans des eaux aussi dangereuses. On était de retour à Sommerset le 3 mai 1873, après une fructueuse reconnaissance géographique.

J. Girard



LE LAMANTIN DU CENTRAL-PARK
à new-york.

Depuis le commencement de juin dernier, le jardin zoologique établi au Central-Park, à New-York, possède un animal exposé pour la première fois en Amérique et bien rarement, croyons-nous, dans les autres collections du monde. La capture de cétacés vivants est toujours une chose peu commode, et celle des Lamantins surtout, car l’habitat de ces intéressants animaux est presque borné aux grands fleuves de l’Amérique méridionale et centrale, comme l’Orénoque et l’Amazone.

Le Lamantin une fois pris, il fallut le conserver ; c’était une difficulté grande, car on n’avait aucune donnée sur la nourriture véritable de ces animaux et sur leurs mœurs. Leur histoire se composait de plus de fables que de vérités, de plus d’on-dit que d’observations. Quoi qu’il en soit, l’habile directeur a su conserver en bonne santé son Lamantin jusqu’à présent. Tout fait présager même que la suite du régime ne lui sera pas défavorable puisque le prisonnier a déjà grandi depuis son entrée à la ménagerie. Nous allons indiquer tout à l’heure comment on le maintient en bon état, mais il n’est pas sans intérêt de résumer les renseignements que nous recevons de l’habile éleveur.

On connaît trois espèces de Lamantins : le Latirostris, qui habite la Floride, le golfe du Mexique et les côtes de la mer Caraïbe ; l’Australis, depuis la mer des Caraïbes jusqu’aux côtes du Brésil, enfin le Senegalensis, sur la côte ouest d’Afrique ; cette der-