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LA NATURE.

vaincre de la singulière exiguïté dont nous parlons, il suffit de prendre dans la main une tête de grosse épingle, ou un crayon, ou quelque objet qui n’ait que 0m,005 de diamètre, et de le placer, en étendant le bras, devant la lune : il l’éclipse entièrement. À plus forte raison, en allongeant le bras, il suffit de placer le petit doigt devant la lune pour l’éclipser et au delà.

C’est là un chapitre de plus à ajouter à celui des illusions de la vue.

La première fois que j’ai fait cette remarque, c’était par un beau soir d’été, il y a une dizaine d’années. Je commençais à faire des observations astronomiques, et parfois quelques personnes étrangères aux observations venaient regarder la lune à la lunette. Or très-souvent, une personne qui mettait l’œil au chercheur s’écriait spontanément : « Oh ! comme elle est petite ! elle n’est pas plus grosse qu’un pain à cacheter. » Or remarquez que la petite lunette du chercheur grossissait une dizaine de fois. Ainsi, tout en voyant la lune dix fois plus grosse qu’à l’œil nu, on la trouvait plus petite. C’est en vérifiant cette sensation optique que je constatai qu’en réalité nous voyons la lune beaucoup plus petite que nous ne nous l’imaginons.

Ce fait doit être dû, d’une part à l’irradiation ; d’autre part, aux comparaisons instinctives que nous établissons à notre insu entre de grands objets de dimensions connues, comme des maisons, des tours, des coupoles, et la lune, qui située toujours au delà, nous paraît de dimensions apparentes comparables.

Ayant déjà signalé cette observation curieuse dans un journal, j’ai lu les deux réponses suivantes à l’appui. La première est de M. Viguier, professeur à Montpellier et a été publiée dans le Bulletin de l’Association scientifique de France, édité à l’Observatoire de Paris. La seconde est de M. Proctor, astronome anglais, et a été publiée dans le journal anglais Nature.

« Portés par les apparences à nous supposer placés au centre d’une grande sphère, dit le premier, et ne pouvant juger de la distance absolue des astres, nous les rapportons à cette sphère, et ils doivent par suite paraître y sous-tendre un arc de grand cercle, correspondant à leur dimension apparente. Si donc ce diamètre correspond, comme pour la lune, à la 360e partie de la demi-circonférence, cet astre paraîtra avoir un diamètre égal à la longueur de cet arc ; en d’autres termes, nous jugeons instinctivement qu’il faudrait 360 lunes environ pour former le demi-cercle situé sur notre horizon.

« Posons-nous cette autre question analogue à la précédente : Pourquoi ne cessons-nous pas d’attribuer à une assiette la grandeur que nous lui connaissons, lors même qu’elle est placée à 10 et 20 mètres de notre œil, et que, par suite, son diamètre apparent devient beaucoup plus petit ? Notre jugement cherche encore ici à mettre en harmonie la distance supposée de l’objet, son diamètre apparent et sa grandeur réelle connue ou supposée, comme le sont des problèmes en général peu déterminés : si l’inconnu est la grandeur réelle de l’objet, la notion plus ou moins approchée de la distance et celle du diamètre apparent donnent à notre esprit une valeur correspondante des dimensions apparentes ; si la grandeur réelle lui est familière, il saura faire intervenir la distance pour corriger la diminution que semble indiquer le diamètre apparent. Un moucheron, par exemple, passant devant notre œil et projeté à notre insu au loin dans l’espace, peut produire sur notre imagination l’apparence d’un oiseau de proie. Regardez un treillis en fer placé environ à 0m,40 de l’œil, disposez ensuite cet organe comme si vous regardiez les losanges tracés sur un mur situé à 10 ou 20 mètres au delà, ils paraîtront amplifiés. Le rôle de l’imagination, de la disposition correspondante des diverses parties de l’œil est évident pour celui qui analyse un peu ses appréciations de grandeur, de distance.

« Plusieurs conséquences résultent des explications qui précèdent. Les dimensions de la lune, comparées à celles qu’elle aurait si, conservant son diamètre apparent, elle venait se placer à la distance de la vision distincte, doivent donner les dimensions de la sphère à laquelle nous la supposons fixée. On aperçoit sans calcul qu’elles ne sont pas très-considérables. De plus, cet astre, se montrant à l’horizon comme à la base d’une voûte surbaissée, nous semble avoir un diamètre plus grand, parce que nous le voyons correspondre à la 360e partie d’une circonférence d’un plus grand rayon. Enfin la comparaison de ces grandeurs apparentes doit donner la mesure de ce surbaissement d’ailleurs très-variable. Un autre fait, au premier abord paradoxal, trouve ici son explication : nous ne voyons pas toujours la lune de la même grosseur ; l’état de l’atmosphère, la profondeur apparente du ciel, de l’horizon plus ou moins estompé par la brume, influent sur notre jugement, et cela toujours parce que la sphère céleste ne conserve pas ses dimensions apparentes. C’est encore pour la même raison, que cette grosseur dépend aussi de la vue de celui qui l’observe : à l’aide de simples besicles, le myope, le presbyte surtout peuvent facilement s’en convaincre. »

Voici maintenant les remarques de M. Proctor.

« Les observateurs ordinaires paraissent croire qu’ils ont réellement indiqué la grandeur d’un météore, quand ils ont dit, par exemple, qu’il avait 1 mètre de diamètre, ou quelque chose de semblable. Naturellement, une pareille expression n’a absolument aucun sens pour un astronome, tandis que la manière de parler moins précise en apparence par laquelle on compare la grandeur d’un météore à celle de la lune est, en réalité, beaucoup meilleure. Il est vrai que lorsqu’un observateur dit qu’un météore était aussi grand que la lune, il fait une bien plus grande erreur qu’en disant qu’il avait 1 mètre de diamètre ; mais l’astronome sait ce que cela veut dire, tandis que, par l’autre manière de parler, il ne