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LA NATURE.

L’importance pour la science du passage de Vénus sur le Soleil a provoqué nombre d’observations et de voyages périlleux : « Poussé par cet héroïque dévouement au devoir, dont le nom de Halley rappelait au reste plus d’un glorieux exemple, ajoute le savant que nous venons de citer, les astronomes se répandirent à la surface du globe, afin d’observer les passages annoncés. L’un d’eux entre autres, Le Gentil de la Galaisière, parti de l’Inde, au mois de mars 1760, et paralysé par la guerre que nous soutenions alors contre les Anglais, eut le courage d’attendre à Pondichéry, pendant huit longues années, le passage de 1769, risquant ainsi sa position officielle à l’Académie des sciences de Paris, où, faute de nouvelles sur son compte, on finit en effet par le remplacer ; risquant aussi son patrimoine, qu’il avait confié à un dépositaire infidèle, des mains duquel il ne lui fut plus possible de l’arracher ; et pour comble de chagrin, manquant entièrement le but de son inépuisable abnégation, puisque, après avoir pu seulement apercevoir, mais non observer du pont de son navire, le passage de 1761, il se trouva sous un ciel charge de nuages qui lui cachèrent absolument le phénomène de 1769. »

« Déjà connu par un premier voyage en Sibérie lors du passage de 1761, l’abbé Chappe d’Auteroche, à son tour, s’en alla mourir de la fièvre jaune en Californie, le 1er août 1769, à l’âge de 41 ans, pour avoir voulu prolonger de 15 jours encore, sans grande utilité, il est vrai, son séjour au sein de l’épidémie, afin d’ajouter à son observation de l’éclipse de Vénus celle d’une éclipse de lune et de quelques autres occultations.

« Nombre de savants s’engagèrent également jusqu’aux limites habitables du continent européen pour procéder à cette observation. Tant d’efforts ne restèrent pas infructueux, et l’on connut enfin, avec une précision presque parfaite, l’unité des longueurs célestes, la véritable distance de la terre au Soleil, précision qui ne tardera pas d’ailleurs à être vérifiée dans les prochains passages de 1874 et de 1882. »

Vénus et ses phases.

En même temps que M. Rambosson donne dans son bel ouvrage ces intéressants renseignements historiques sur les passages de Vénus, il parle des particularités offertes par la remarquable planète. « Les taches obscures que l’on voit dans Vénus sont très-déliées ; elles occupent une grande partie de son diamètre ; leurs extrémités n’ont rien de bien tranché. Blanchini aperçut en 1726, vers le milieu de la planète, sept taches qu’il appela des mers communiquant entre elles par des détroits, et offrant huit promontoires distincts. Il en dessina les figures et leur assigna le nom d’un roi de Portugal, son bienfaiteur, et les noms des navigateurs les plus célèbres par leurs voyages. Dans le mois d’août 1700, La Hire, observant Vénus de jour, près de sa conjonction inférieure, avec une lunette grossissant quatre-vingt-dix fois, aperçut sur la partie intérieure du croissant des inégalités qui ne pouvaient être produites que par des montagnes plus hautes que celles de la lune. Schrœter, portant son attention sur la partie du croissant très-voisine des cornes, les vit quelquefois tronquées. Le 28 décembre 1789, le 51 janvier 1790 et le 27 février 1793, il aperçut près de la corne méridionale un point lumineux, tout à fait isolé, c’est-à-dire séparé par un espace obscur du reste du croissant.

« Si la planète était sans aspérités et parfaitement lisse, son croissant se terminerait toujours par deux pointes exactement pareilles et très-aiguës ; mais si Vénus est couverte de montagnes, leur interposition sur la route des rayons lumineux venant du soleil empêchera quelquefois l’une ou l’autre des cornes, ou toutes les deux à la fois, de se former régulièrement ; le croissant n’aura plus alors une entière symétrie. Les choses se passent ainsi : Vénus n’est donc pas un corps poli ; il existe à sa surface des montagnes, et ces montagnes surpassent énormément en hauteur celles de la terre. Le résultat des mesures prises donne 44 000 mètres ou 11 lieues pour les plus hautes ; elles sont donc cinq fois plus élevées que les plus hautes montagnes de notre globe. »

Telles sont les singularités de Vénus, dont on va