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LA NATURE.

On ne peut toutefois se défendre d’une juste émotion en lisant, dans ses Mémoires, toutes ses tribulations de savant, toutes ses douleurs de citoyen, pendant la siège de Paris, et les événements à jamais déplorables qui précédèrent ou suivirent la capitulation.

Dr  N. Joly (de Toulouse).

LES SOURCES DU NIL

Le fleuve saint, le mystérieux Nil des anciens, a dans tous les temps attiré l’attention des voyageurs. Les particularités singulières qui le distinguent des autres cours d’eau du globe sont bien faites, en effet, pour éveiller la curiosité. Alors que tous les fleuves, pendant la chaleur de l’été, deviennent des ruisseaux, seul le Nil coule à grands flots, déborde, inonde les plaines de la basse Égypte, dépôt alluvionnaire qui lui doit sa naissance. Immense et majestueux, il coule ou plutôt il glisse lentement sur une faible pente sans que l’absorption des sables altérés du désert, sans que l’évaporation, sous ce climat, torride, semblent diminuer la masse de ses eaux. Ce phénomène anomal avait attiré l’attention des anciens et l’on trouve l’exposé de leurs hypothèses, le récit de leurs expéditions, dans les ouvrages d’Ératosthène, de Pline et de Ptolémée. Us connaissaient l’Atbara, tributaire venu de l’Abyssinie, l’Astapus ou fleuve Bleu qui sort du lac Dembea et se déverse dans le Nil, à la hauteur de Khartoum. Quant au Bahrel-Abjad ou fleuve Blanc, considéré par eux comme la tête du fleuve, des centurions envoyés par Néron le remontèrent jusqu’à d’immenses marais, qu’ils ne purent franchir. Enfin Ptolémée, qui avait puisé ses informations dans l’ouvrage perdu de Marin de Tyr, affirme que, dans le sud, court de l’est à l’ouest une chaîne de montagnes (les monts de la Lune), toujours couverte de neige ; les ruisseaux auxquels elle donne naissance forment deux lacs d’où s’échappent deux rivières qui engendrent, en se réunissant, le cours véritable du fleuve. Ces renseignements que nous avons longtemps rejetés de parti pris, que nous avons traités de fables ridicules, sont à peu près exacts ; encore, faut-il attribuer les erreurs de détail au défaut des connaissances mathématiques des anciens ; nous avons vécu sur ces seules données jusqu’à ces derniers temps, où des explorations répétées viennent de jeter une vive lumière sur un problème qui a si longtemps tenu en échec la perspicacité des géographes.

Il faut arriver aux voyages de la fin du dix-huitième siècle, à l’expédition française en Égypte, pour que l’attention publique s’intéresse aux choses de l’Afrique. Mais c’est à Méhémet-Ali que revient l’honneur d’avoir fait, dans les temps modernes, la première tentative sérieuse vers les sources du Nil. L’expédition qu’il envoya en 1849 franchit les marais qui avaient arrêté les centurions de Néron et parvint jusqu’à Gondo-Koro, par 5 degrés de latitude nord. Cependant, si les sources du Nil étaient situées, comme l’affirmait Plolémée, si loin dans le sud, n’était-il pas plus facile et moins long de les atteindre en partant de la côte orientale d’Afrique ? Telle est la réflexion qui détermina un jeune officier de la marine française, M. Maizan, à chercher sur le rivage de la mer des Indes un point, près de l’équateur, d’où il pût s’engager dans l’intérieur à la suite des caravanes des marchands d’ivoire. Il débarqua donc dans l’île de Zanzibar, y apprit la langue du pays, réunit sa cargaison et se mit en route. À peine débarqué à Bagamoyo, en face de Zanzibar, il fut attiré dans l’intérieur par les pompeuses promesses du chet Mazoungera et assassiné par lui avec des raffinements de cruauté. Bien que les résultats de cette expédition avortée dès son début aient été nuls, elle révéla du moins à Speke et à Burton la route qu’ils devaient suivie douze ans plus tard.

Vers la même époque, en 1845, une mission était fondée dans la ville de Mombaz, au-dessus de Zanzibar, par le docteur Krapf, qui était rejoint trois ans après par le révérend Rebmann. Les deux missionnaires, bientôt, familiarisés avec la langue du pays, firent des courses dans l’intérieur et se procurèrent des renseignements tout nouveaux sur une étendue de pays de deux ou trois degrés. Leur découverte la plus importante fut celle de deux pics neigeux, le Kilimandjaro et le Kenya, dont le premier situé entre trois et quatre degrés au sud de l’équateur, et le second par deux degrés plus au nord. Bien qu’ils n’aient pu s’en approcher, ils constatèrent du moins que ces montagnes, pour conserver ainsi des neiges éternelles presque sous l’équateur, devaient s’élever de 12 à 15 000 pieds au-dessus du niveau de la mer.

Étaient-ce les monts de la Lune de Ptolémée ? Supposition qui ne manquait pas de vraisemblance, car les indigènes parlaient de deux lacs, les lacs Baringo et Zamburu, d’où s’échappaient plusieurs rivières dont l’une portait le nom de Toumbirih : c’était là tout au moins une curieuse coïncidence, car près de Gondo-Koro, le Nil est désigné par les indigènes sous le nom de Toubiri.

Les rapports et les découvertes successives des missionnaires frappèrent l’esprit d’un officier de l’armée des Indes, Richard Burton, qui, dans l’espoir de trouver la solution du problème que les missionnaires n’avaient fait qu’entrevoir, résolut de tenter une expédition en suivant la route montrée par M. Maizan. Après avoir obtenu du gouvernement anglais et de la Société de géographie de Londres, des subsides considérables, après s’être associé le lieutenant Speke, il se rendit à Zanzibar, point de départ des explorateurs africains. Nous reproduisons ci-contre quelques vues de cette ville, extraites du curieux ouvrage de M. Stanley (Comment j’ai retrouvé Livingstone), et dont nous parlerons plus en détail, dans la suite. Ce fut au mois de juin 1857, que les deux voyageurs, ayant débarqué sur le continent, s’avancèrent à travers le terrain marécageux, pestilentiel, alluvionnaire qui s’étend jusqu’au rebord escarpé qui défend le