Page:La Nature, 1877, S1.djvu/159

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La forêt de Gelinden s’élevait sur des pentes crayeuses dont les flancs ravinés par les eaux pluviales ont abandonné aux courants de l’époque les dépouilles des arbres et des plantes qui les recouvraient. Ces dépouilles emportées par des eaux limoneuses, au moment des crues, allèrent s’ensevelir dans les vases dont l’embouchure d’un petit fleuve était encombrée, pêle-mêle avec des plantes marines que le remous des vagues rejetait vers la côte. La forêt ne pouvait être bien éloignée du point où le fleuve heersien (c’est le nom de l’étage auquel le dépôt de Gelinden appartient) venait se jeter dans la mer, mais elle occupait sans doute une station accidentée, au sein d’une région plus ou moins élevée et montagneuse. Non-seulement la nature des arbres dont elle était composée le prouve, mais le limon dont le dépôt a donné naissance au lit marno-crayeux d’où proviennent les plantes a du être arraché par les eaux fluviatiles à des escarpements assez abrupts pour être aisément entamés.

Fig. 1. — Chênes paléocènes de la forêt de Gelinden.
1. Quercus parceserrata, Sap. et Mar. — 2. Q. diplodon, Sap. et Mur. — 3. Q. Luozi, Sap. et Mar. — 4. Gland dépouillé de sa coque. — 3. Q. arciloba, Sap. et Mar.

Fig. 2. — Châtaignier paléocène de la forêt de Gelinden.
Dryophyllum Dewalquei, Sap. et Mar.

Les arbres les plus répandus de cette forêt étaient des Quercinées, dont on a pu recueillir une douzaine d’espèces, et ensuite des Laurinées. Parmi les premières, las unes étaient, à ce qu’il paraît, de vrais chênes semblables à ceux des régions montagneuses de la zone tempérée chaude ; les autres se rapprochent de nos châtaigniers, mais avec des feuilles persistantes comme les Castanopsis de l’Inde. Les Laurinées comprennent un vrai Laurus, L. Omalii Sap. et Mar., des Litsæa, des Persea ou avocatiers, des canneliers et des camphriers ; elles différent du reste fort peu des formes du même groupe qui se montrent en Europe dans un âge bien plus récent, c’est-à-dire jusqu’à la fin du miocène et même dans la première moitié de la période suivante (fig. 1, 2, 3). Des viornes, un lierre, une sorte d’hellébore, plusieurs araliacées, des ménispermées, des célastrinées et des myrtacées achevaient l’ensemble (fig. 4, 5, 6). Il faut y ajouter un thuya assez rare et quelques fougères, dont une bien connue, l’Osmonde (fig. 7), sous une forme à peine différente, fait encore l’ornement de nos ruisseaux, au fond des bois et au pied des berges humides et ombragées.

Cet ensemble, le plus ancien dont l’époque tertiaire à son début nous ait encore offert le spectacle[1], n’a donc rien en soi d’insolite, ni même de très-exotique, rien, en un mot, qui détonne sur le fond des paysages de notre zone, pour peu que l’on redescende de quelques degrés vers le sud. Le Japon méridional nous présenterait des bois presque semblables ; il possède encore de nos jours des viornes, des thuyas et des chênes très-ressemblants à ceux de Gelinden, et même, sans aller aussi loin, vers le midi de l’Europe, on rencontrerait un chêne dont une des espèces paléocènes reproduit fidèlement les principaux traits ; je veux parler du Quercus pseudosuber ou chêne faux-liége qui croit en Algérie, comme en Espagne. Jusqu’ici on n’a point observé de palmiers à Gelinden, mais peut-être serait-il possible d’y signaler quelques débris de folioles d’une cycadée, et ces vestiges semblent nous avertir de ne pas conclure hâtivement du particulier au général. À quelques pas de ce bois de chênes et de lauriers toujours verts, bien d’autres végétaux pouvaient s’élever sans que rien ne soit venu nous en révéler

  1. La reconnaissance me fait ici un devoir de mentionner en première ligne, parmi les explorateurs intelligents à qui est due la connaissance de tant de richesses végétales, M. le comte Georges de Looz, qui a su les rechercher, les réunir, et qui, loin d’enfouir ses trésors, les a mis libéralement à la disposition des hommes de sciences qui pouvaient en tirer parti.