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tant de trop de preuves, pour ne pas laisser entrevoir la vérité.

Les marnes à tripoli de Ceyssac (Haute-Loire), peut-être moins anciennes que les cinérites, découvrent des indices de même nature que ceux dont nous sommes redevables à la flore du Cantal, avec des espèces en partie différentes, qui semblent avoir peuplé le fond d’une vallée agreste et profonde, encadrée par de hauts sommets où s’élevaient des pins et des sapins. L’aune glutineux de Ceyssac n’est pas le même que celui du Cantal ; ses feuilles sont plus petites ; ses fruits et toutes ses proportions annoncent un arbre plus chétif. À côté du charme et de l’érable asiatique (Acer lœtum, C. Mey.) dont j’ai signalé la présence dans le Cantal, se montrent le peuplier grisaille (Populus canescens, Sm.), un ormeau qui se confond avec l’Ulmus montana européen, un aubépin (Cratacus oxyacanthoides, Gœpp.), peu différent du nôtre, et enfin un érable très-curieux parce qu’il reproduit intégralement les caractères d’une race à feuilles semi-persistantes, confinée de nos jours sur les montagnes de la Crète et connue des botanistes sous les noms d’Acer creticum, L., et d’Acer sempervirens, Ait (fig. 3). Les flores pliocènes d’Auvergne, encore imparfaitement connues, malgré leur richesse, donneraient lieu à des remarques semblables. Les chênes, les charmes, les ormes, les peupliers, les érables, les frênes et les noyers y multiplient les traces de leur présence et les preuves de leur prépondérance.

Notre tremble s’étendait alors partout ; il en est de même du type des noyers. Les chênes offraient les formes les plus variées, et malgré les difficultés qui s’opposent à l’exacte détermination de leurs espèces, on voit bien qu’a côté de formes alliées de près à nos rouvres, il en existait d’autres comparables soit au Quercus Mirbeckii, Du Rieu, d’Algérie, soit au Quercus lusitanica d’Espagne, soit enfin au Quercus infectoria de l’Asie Mineure ; ou bien encore dénotant des types aujourd’hui disparus ou émigrés vers des régions plus chaudes ou plus reculées dans la direction du sud.

Dans la Haute-Loire, des vestiges datant de la même époque démontrent que l’épicéa et même le mélèze étaient dès lors répandus en Europe ; sur divers points de l’Allemagne les mêmes arbres associés à l’if et au hêtre ont également laissé des traces certaines de leur existence. Vers un horizon sensiblement pareil, les plus récentes formations tertiaires du littoral toscan, du Val-d’Arno, ainsi que les travertins des îles Lipari, permettent de constater l’apparition et l’extension successive, dans l’Italie moyenne, du hêtre, de divers chênes, entre autres du Quercus Farnetto, Ten., qui vit maintenant en Calabre, du gaînier ou Cereis siliquartrum : on y observe également le laurier noble et celui des Canaries, le laurier-tin, le buisson ardent (Mapiher pysacantha, L.), le lierre, le chêne vert, etc., sous l’aspect que nous connaissons à ces divers végétaux (fig. 4) ; et enfin le Chamœrops humilis, le dernier des palmiers européens, celui de tous qui s’est le plus longtemps attardé sur notre sol, avant de le quitter, et dont les travertins de Lipari, peut-être un peu postérieurs aux derniers dépôts tertiaires, nous ont conservé des vestiges.

Par la revue rapide de ces divers documents, nous approchons graduellement du terme de notre course ; nous touchons à la fin de l’âge pliocène : la température s’abaisse peu à peu ; les glaciers, après avoir occupé le flanc des plus hautes montagnes, descendent graduellement dans les vallées inférieures et tendent à les envahir. L’humidité du climat favorise évidemment cette marche ; les précipitations aqueuses, devenues réellement excessives, expliquent par leur abondance le régime des eaux fluviatiles et jaillissantes, qui s’élève de plus en plus pour atteindre des proportions vraiment surprenantes, au début des temps quaternaires.

La puissance des eaux qui s’épanchent à la surface du sol ou qui en parcourent les dépressions constitue le trait le plus saillant de la deuxième moitié du dernier âge tertiaire, si l’on y joint l’extension des glaciers et le phénomène erratique du nord qui n’en furent que des conséquences plus ou moins directes. L’immersion prolongée des plaines de l’Europe septentrionale, contre-coup inévitable de l’exhaussement des Alpes, marque encore la fin de cette même période, et son examen détaillé nous entraînerait si loin que le plus sûr est de ne pas s’y arrêter.

Fig. 6. — Espèces du Forest-bed (pliocène sup.).
1-2. Pinus montana, Mill., cônes. — 3-4. Abies pectinata, D. C., écailles détachées d’un strobile.

Dans la seconde moitié du pliocène, les circonstances ne cessèrent de favoriser en Europe le développement du règne végétal, pris en masse, bien que l’abaissement continu de la température tendît à restreindre de jour en jour le nombre et la variété des éléments qui le composent. Les mammifères, de leur côté, n’avaient cessé de se multiplier et de grandir en force, en perfection et en beauté, tout en perdant une partie des genres qu’ils comprenaient lors du pliocène inférieur. M. le professeur Gaudry, dans ses Matériaux pour l’histoire des temps quaternaires, désigne cet étage sous le nom d’âge du Forest-bed ou pléistocène ; nous sommes disposé à y comprendre le niveau de Saint-Martial, dans l’Hérault, et la partie la plus récente du Val d’Arno. Les mastodontes et les tapirs ont alors quitté l’Europe ; les singes ont émigré et repris le chemin de l’Afrique ; mais les éléphants, les rhinocéros, les hippopotames n’ont jamais été plus puissants et leur développement, de même que celui des cervidés et