Il en est ainsi du Populus euphratica, Oll., ou Peuplier coriace, qui croît le long des grèves humides, sur le bord des ruisseaux et des fleuves, en Algérie, près du Jourdain et de l’Euphrate. C’est à cet arbre que fait sans doute allusion le verset poétique si connu du psaume (de Jérémie), super flumina Babylonis : « Sur les rives du fleuve de Babylone, nous nous sommes assis et nous avons pleuré au souvenir de Sion. Aux saules qui s’avançaient jusqu’au milieu des eaux, nous suspendîmes nos instruments de musique… » Effectivement les feuilles du Peuplier de l’Euphrate sont très-variables ; tantôt ovales, tantôt cordiformes, entières ou dentées, elles s’allongent d’autres fois et se rétrécissent de façon à ressembler à celles des Saules ; ses rameaux flexibles et abondants rappellent à l’esprit ceux du Saule pleureur, arbre d’origine chinoise, introduit à une époque relativement récente et que les Hébreux n’ont certainement jamais connu.
Le Populus mutabilis ou Peuplier à feuilles changeantes, si répandu à Œningen, et dont on retrouve tous les organes, rappelle à s’y méprendre le Populus euphratica. Il a depuis quitté l’Europe, et comme tant d’autres espèces tertiaires que les progrès continus du refroidissement ont chassés vers le sud, il revit presque sans changement dans son homologue actuel de l’Afrique boréale et de l’Asie occidentale. Beaucoup de formes européennes miocènes sont en effet trop rapprochées par tous leurs caractères visibles d’espèces encore vivantes, dispersées dans la zone tempérée chaude des deux continents, pour ne pas admettre un lien de filiation des secondes par les premières. Quelques-unes de ces espèces, dites homologues des plantes tertiaires, sont encore à portée de nos frontières, comme si l’événement qui les a frappées d’ostracisme était récent et n’avait eu d’autre effet que de les rejeter en dehors des limites de notre continent.
Le Platane, le Liquidambar, le Planère ou Orme de Sibérie, le Pterocarya ou Noyer du Caucase sont justement dans ce cas (voy. la fig. 2). D’autres fois, c’est plutôt en Amérique qu’il faut aller chercher les végétaux similaires de ceux que comprend la flore miocène d’Europe et de là la supposition exempte d’invraisemblance d’anciennes connexions géographiques rejoignant les deux continents. Il est vrai que ces sortes de liaisons d’espèces s’expliquent encore mieux par des immigrations venues du pôle, qui auraient déversé les végétaux particuliers aux contrées arctiques dans des régions plus méridionales, vers lesquelles ces végétaux auraient rayonné comme d’un centre, en divergeant dans plusieurs directions à la fois. C’est ainsi que le phénomène, si connu des botanistes, des genres à espèces disjointes, c’est-à-dire séparées par de grands espaces, et distribuées à la fois dans les deux continents, s’expliquerait de la façon la plus naturelle, sans qu’il fût même nécessaire d’évoquer l’intervention de mouvements physiques trop fréquents, de nature à bouleverser l’économie géographique du globe.
Lors du miocène et tant que persista la mer mollassique, on voit la végétation européenne offrir une association d’espèces congénères de celles que nous avons sous les yeux, bien que généralement distinctes de celles-ci à plusieurs égards, et de types décidément étrangers à l’Europe, qui se marient harmonieusement entre eux pour former un ensemble dont la richesse a lieu d’étonner. Quelques-uns de ces types paraissent ne plus exister nulle part ; ils ont pu cependant, grâce à l’abondance des vestiges qu’ils ont laissés, être définis avec précision. Je citerai en exemple les Podogonium, sortes de Légumineuses Cæsalpiniées, analogues aux Gleditschia, aux Tamarindus, aux Copaifera, mais en réalité différant de tous les genres actuels. Leurs feuilles, abruptement pinnées, étaient divisées en folioles nombreuses ; leurs fruits consistaient en un légume déhiscent, monosperme et pédicellé, dont la graine unique, poussée à la maturité en dehors des valves, demeurait adhérente au trophosperme par un court funicule.
Les Fougères se rapprochent graduellement des formes encore existantes, du moins si l’on consulte les pays situés au sud de l’Europe. L’Adiantum renatum, Ung., est l’ancêtre de l’A. reniforme, L., des Canaries ; le Pteris pennæformis, Hr., ressemble au P. longifolia, L. ; le P. œningensis, le Woodwardia Rœssneriana sont les parents incontestables de notre P. aquilina et du W. radicans. L’Osmunda Heerii, Gaud., diffère réellement très-peu de l’O. regalis, L.
Les Conifères dominantes appartiennent toujours aux trois types Séquoia, Taxodium, Glyptostrobus ; il s’y joint probablement aussi des Thuya et des Torreya et sûrement un Salisburia qui se confond spécifiquement avec notre Ginkgo ou Salisburia adiantifolia du Japon.
Les Graminées se multiplient, parmi les Monocotylédones, et forment partout des gazons, servant de pâture aux herbivores qui tendent partout aussi à se répandre. Quelques Palmiers se montrent encore, mais ils sont de plus en plus clair-semés, et ce sont les derniers qui aient habité l’Europe centrale.
Les Bouleaux, les Aulnes, les Charmes, les Ormes, les Saules, les Platanes, sont alors répandus en tout lieu. Les Érables n’ont jamais été plus florissants, plus nombreux et plus diversifiés. L’ampleur de leur feuillage augmente ; on recueille leurs divers organes ; plusieurs de leurs espèces se trouvent reconstituées, comme s’il s’agissait des plantes d’un herbier. Les Myricées continuent à se montrer sous les formes les plus variées, et les Comptonia en particulier attirent l’attention par la richesse et l’élégance de leurs formes, lorsque l’on songe à l’unique Comptonia vivant, perdu aujourd’hui dans les sables marécageux de la Pensylvanie. La plupart des figuiers sont entachés de certains doutes qui s’opposent à leur exacte détermination ; le plus fréquent de tous, le Ficus tiliœfolia, Al. Br., n’échappe pas à cette remarque ; il pourrait tout aussi bien dénoter un Pterospermum qu’un Ficus ; mais s’il a réellement