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tèrent postérieurement au retrait de la mer nummulitique. Celle-ci se dessécha peu à peu, mais sa terminaison finale est difficile à fixer, si l’on n’admet pas que le flysch en représente les derniers délaissements. Il semble que la Provence ait dû faire partie à ce moment d’une sorte de péninsule étroite et longue, analogue à l’Italie actuelle et partant de la haute Provence pour aller aboutir en Afrique, non loin de Bougie, à travers la Corse et la Sardaigne, dont elle aurait englobé la plus grande partie. Entre cette péninsule et le littoral dalmate, il y aurait eu une large mer, couvrant l’Italie et formant un golfe avec plusieurs îles. Au delà s’étendait une grande terre péninsulaire sinueuse, comprenant une partie des provinces illyriennes et de la Hongrie, presque toute la Turquie d’Europe, la Grèce, l’Archipel, et allant empiéter sur l’Asie Mineure, découpée elle-même en plusieurs régions insulaires (fig. 3).

L’influence d’une mer pénétrant si profondément au sein des terres aurait dû avoir pour effet le maintien d’un climat égal et doux, humide et chaud en toutes saisons. Le contraire semble résulter de l’étude de la flore éocène. Cette flore affecte surtout une physionomie et des affinités africaines ; elle accuse beaucoup de chaleur et témoigne par l’amoindrissement des formes, par leur consistance souvent coriace, par leur disposition fréquemment épineuse, par la stature médiocre des espèces, une atmosphère déversant l’eau par intermittence et l’alternance probable de deux saisons très-marquées, l’une sèche, l’autre humide. Il semble aussi que le rivage méridional de la mer nummulitique longeant l’Afrique vers les confins du Sahara, l’introduction et la persistance des formes propres à ce continent aient été le résultat d’une colonisation ayant son point de départ dans le sud. L’émigration aurait gagné de proche en proche, de manière à envahir le périmètre des terres en contact avec la mer nummulitique et à faire partout dominer des éléments semblables, à l’exemple de ce qui se voit de nos jours le long des plages de la Méditerranée, ainsi que sur le pourtour du golfe du Mexique, de la mer des Antilles et de celle du Japon. Rien de surprenant à ce que, conformément à ce qui a lieu dans ces diverses régions, la végétation se soit uniformisée sur les rivages opposés, et d’un bout à l’autre du grand bassin intérieur éocène, dont le diamètre, entre le Soudan et les Alpes, mesurait environ 30 degrés ou plus de 700 lieues, dimension double de celle que présente la Méditerranée du fond de la grande Syrte à la rivière de Gênes.

Il est à croire que l’influence directement exercée sur les terres de l’Europe par une mer chaude et méridionale, touchant au tropique vers le sud, ne fut pas étrangère à l’établissement du climat qui semble avoir prévalu durant l’éocène. Échauffée périodiquement par le soleil, à l’époque de l’année où cet astre s’avance vers le cancer, la mer nummulitique devait donner lieu à des moussons coïncidant avec la fin de l’été et précédées d’une saison sèche partant de l’équinoxe du printemps et allant jusqu’après le solstice. Telle est probablement la clef d’un problème dont la solution résulte à la fois et de la configuration de l’Europe éocène et de l’étude des plantes que possédait alors notre continent et dont nous avons figuré les principales.

On doit fixer à l’éocène et faire coïncider avec la présence de la mer du calcaire grossier parisien le moment de la plus grande élévation thermique que le climat européen ait présenté durant le cours des temps tertiaires. Non-seulement les Nipa et peut-être les cocotiers s’étendirent alors jusqu’en Belgique et en Angleterre, mais les espèces à feuilles caduques ne furent jamais aussi peu nombreuses ; leur présence constatée se réduit à quelques rares exceptions. C’était le temps des jujubiers africains, des gommiers, des Myricées aux feuilles coriaces, des Aralia, des Podocarpus, des Nerium ou lauriers-roses, des euphorbes arborescentes, des Myrsinées, etc. Les palmiers étaient nombreux sur tous les points du territoire français. M. Crié en a compté récemment cinq espèces dans les grès éocènes de la Sarthe. Les forêts montagneuses de cette dernière région comprenaient une association de lauriers et de chênes à feuilles persistantes, mêlées à des Diospyros et à des Tiliacées, à des Myrsinées, à des Anacardiacées et à plusieurs Podocarpus. Les Fougères les plus répandues étaient des Lygodiées. Cet état de choses paraît s’être maintenu dans le midi de l’Europe, sans grande altération, jusqu’à la fin de l’éocène. Monte-Bolea, en Italie, en fournit des exemples et la flore des gypses d’Aix en Provence conduit aux mêmes conclusions. Vers la fin de l’éocène, la mer nummulitique tendait partout à s’amoindrir, sinon à disparaître. Des lacs s’étaient établis sur une foule de points et les stations marécageuses, fréquentes sur leur bord, favorisèrent l’extension de la faune paléothérienne en mettant à la portée des animaux de cet âge une nourriture abondante, particulièrement des rhizomes de nénufars et autres plantes palustres que les pachydermes recherchaient en baugeant en troupes dans les lagunes. Ces lacs aux plages souvent envahies par la végétation avaient des alternatives de crues et de dessèchements en rapport avec les conditions climatériques de l’époque. Il est à remarquer également que les lacs éocènes qui persistèrent en Provence sans changement pendant le tongrien et même l’aquitanien étaient distribués de manière à correspondre chacun à l’un des versants des chaînes de montagnes qui s’élèvent dans cette partie de la France et qui se présentent maintenant comme les premiers contre-forts des Alpes. L’importance et surtout la profondeur de ces lacs dénotent le voisinage d’accidents orographiques plus prononcés encore que ceux qui se montrent de nos jours aux mêmes lieux. Ni le Léberon ou le rocher de Voix qui se dressent au sud de l’ancienne cuvette lacustre de Manosque, ni la montagne de Lure