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Page:La Normandie littéraire, année 15, tomes 7-8, numéros 1 à 11, 1900.djvu/127

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de mépriser l’opinion. Le monde se vengea en blâmant, sans réserve, l’intérieur qu’elle se créa de 1840 à 1848, pendant les huit dernières années de la vie de retraite de Nohant, quand elle se fit la garde malade de Chopin. Le monde lui reprocha sans pitié Chopin et d’autres hôtes du même genre, accueillis à la légère devant ses enfants, et Châteaubriand, parlant d’elle, prétendait que l’insulte à la rectitude de la vie ne saurait aller plus loin. Elle a reconnu dans ses heures d’aveu que sa conduite fut pleine de fautes et qu’aucune philosophie n’en autorisait l’exemple.

Il reste bien difficile de porter un seul jugement sur G. Sand. D’un côté, nous voyons une femme qui déserte le domicile conjugal : elle va mener à Paris la vie d’étudiant, fait des confusions de mots et de sentiments choquantes dans des livres souvent dangereux, défie bruyamment l’opinion par une situation d’existence bruyamment fausse. Comment ne pas la blâmer ? Mais d’autre part, comment ne pas accorder sa sympathie à la femme apaisée qui écrivait l’Histoire de ma Vie, à l’aïeule oublieuse d’elle-même, à la grand-mère attentive, uniquement préoccupée des joies et des peines de sa famille, vivant désormais d’affection et de « dévouements formidables ». « Nul ne peut se dispenser d’un très grand courage pour accepter la mission d’aimer, de souffrir et de se dévouer sans relâche. »[1] M. Claretie avait donc raison d’écrire que chez Mme Sand l’admirable bonté de l’aïeule a doucement, comme avec un sourire, réfuté les tirades mêmes de la révoltée.

Pour bien comprendre G. Sand il faut songer à sa race, à son éducation heurtée et abandonnée, à ses secousses d’enfant, à ses épreuves de jeune fille et de jeune femme.

Une des plus curieuses parties de sa Correspondance[2] est consacrée à ses protégés, à ses enfants spirituels. Elle eut une influence certaine sur toute une génération d’âmes pensives et littéraires qui venaient à elle dans les circonstances troublantes.

  1. Lettre du 30 juillet 1870.
  2. Barbey d’Aurevilly est très dur pour la Correspondance, à ce sujet il conteste à Mme Sand toute race et lui trouve l’esprit commun. Le grand gentilhomme ne pardonnait sans doute pas à une femme de son monde par certains côtés d’avoir fait si peu de cas des privilèges de naissance et de noblesse.