Page:La Normandie littéraire, année 15, tomes 7-8, numéros 1 à 11, 1900.djvu/91

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événements. Ainsi, comment prévoir que Consuelo, la petite chanteuse des arcades de Venise, la mignonne amie d’Arzoleto, deviendra plus tard la Comtesse de Rudolstadt et traversera d’innombrables péripéties en Bohême, à Berlin ou à Vienne ?

Dans Christian Waldo, une œuvre qu’elle affectionnait (on a dit même que Christian Waldo était la personnification de son fils), nous lui reprocherons encore ce défaut d’unité qui l’amène à greffer plusieurs histoires ensemble, mais, malgré tout, on se laisse docilement et agréablement mener par elle[1].

Le tendre et mélancolique merle blanc du joli conte de Musset définissait ainsi sa passagère compagne[2] :

« Tandis que je composais mes poèmes, elle barbouillait des rames de papier… Elle pondait ses romans avec une facilité presque égale à la mienne, choisissant toujours les sujets les plus dramatiques : des parricides, des rapts, des meurtres et même jusqu’à des filouteries, ayant toujours soin en passant d’attaquer le gouvernement et de prêcher l’émancipation des merlettes. En un mot, aucun effort ne coûtait à son esprit, aucun tour de force à sa pudeur ; il ne lui arrivait jamais de rayer une ligne ni de faire un plan avant de se mettre à l’œuvre. »

G. Sand savait toutefois que son talent lui imposait une mission et un devoir : elle voulut être, et elle fut une vulgarisatrice de l’art et des sentiments ; elle parle souvent avec noblesse de la mission de l’artiste, de ses sensations, de ses joies, de ses souffrances. Elle pensait qu’en dépit des amertumes de la célébrité, il fallait se sacrifier aux autres et utiliser son expérience au profit de tous. Comment écrire sans rien mettre de son cœur dans son œuvre, sans même se donner tout entier ?[3] Son ambition était d’agir sur ses contemporains et de leur « faire partager son idéal de douceur et de poésie »[4]. Elle méprisait, en littérature, les caprices de la mode ;

  1. On peut, à l’occasion de ce roman, faire remarquer que G. Sand a un vrai don d’évocation pour parler de pays et de milieux qu’elle ignore. Dans l’Homme de Neige, elle décrit le Dalécarlie comme une vraie Scandinave.
  2. Histoire d’un Merle Blanc. — Contes de Musset.
  3. Lettre à Flaubert, 8 décembre 1872.
  4. Histoire de ma vie.