Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/270

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Elle le questionna avec précaution sur la matinée musicale à laquelle il avait assisté, murmura, soupira, le regarda d’un côté, de l’autre, par devant, par derrière et, se frappant tout à coup les côtés des deux mains, elle s’écria :

— Allons, Yacha, je vois de quoi il s’agit.

— De quoi donc ? demanda Aratof.

— Tu as certainement rencontré à cette matinée quelqu’une de ces traîneuses de queues (c’est ainsi que Platonida nommait toutes les dames portant des robes à la mode). Elle a une frimousse provocante, elle se tortille de-ci, elle se tortille de-là (et Platonida imitait ce tortillage), et avec les yeux elle fait des ronds comme cela (et Platonida décrivait avec son index de grands cercles dans l’air), et toi qui n’y es pas habitué, ça t’a fait de l’effet. Mais ce n’est rien, Yacha, cela ne veut rien dire du tout. Prends une tasse de thé ou de tilleul avant de te coucher et tout sera fini, avec l’aide de Dieu.

Platonida se tut et s’éloigna. Il y avait longtemps qu’elle n’avait prononcé un discours aussi long et aussi animé. Et Aratof pensa :

— Qui sait ? la tante a peut-être raison ; tout ça n’est peut-être que manque d’habitude.

C’était en effet la première fois qu’il lui était arrivé d’attirer l’attention d’une personne du beau sexe ; dans tous les cas, il ne l’avait jamais remarqué. Il reprit ses livres, et, vers le soir, il but une tasse de tilleul, et il dormit très bien toute la nuit sans avoir aucun rêve.

Le lendemain matin il reprit, comme de coutume, ses études de photographie. Mais sa tranquillité fut troublée de nouveau dans la même journée.

VI

Un commissionnaire lui apporta un billet d’une écriture féminine, grande et irrégulière, ainsi conçu :

« Si vous devinez qui vous écrit, et si cela ne vous ennuie pas, venez demain après dîner, vers cinq heures, au boulevard