Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/275

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eurent un léger tressaillement ; elle prit un petit chemin de traverse, il la suivit), dans le seul but d’éclaircir à la suite de quel étrange malentendu vous avez bien voulu vous adresser à moi, à un homme qui vous est étranger et qui n’a deviné… comme vous vous êtes exprimé dans votre lettre… qui n’a deviné que c’était vous qui lui aviez écrit, que par la seule raison que, pendant cette matinée littéraire, vous avez daigné lui témoigner une attention par trop évidente.

Aratof s’arrêta, attendant une réponse ; mais elle resta muette.

Tout ce petit discours fut prononcé par Aratof de cette voix sonore, mais pas très assurée, qu’ont les jeunes gens aux examens lorsqu’ils répondent sur un sujet auquel ils se sont bien préparés. Il se fâchait, il était en colère, et cette colère même avait délié sa langue qui, d’ordinaire, n’avait pas cette facilité d’élocution.

Elle continuait à marcher dans le petit chemin, d’un pas ralenti. Aratof marchait derrière elle et ne voyait toujours que cette vieille mantille et ce chapeau qui n’était pas bien frais non plus.

Son amour-propre souffrait à l’idée qu’elle avait dû penser : Je n’ai eu qu’à faire signe, et il est accouru.

— Je suis tout prêt à vous entendre, reprit-il ; je serai même très enchanté de pouvoir vous être utile en quoi que ce soit. Et pourtant, je l’avoue, je ne puis que m’étonner… avec ma vie solitaire…

Mais, à ces dernières paroles, Clara se retourna vers lui brusquement, — et il aperçut un visage si épouvanté, si profondément triste, avec de si grosses et claires larmes dans les yeux, avec une expression si amère autour de la bouche entr’ouverte, — et ce visage était tellement beau, que la parole expira sur ses lèvres, et qu’il ressentit lui-même comme une sorte d’effroi, d’attendrissement et de pitié.

— Ah ! pourquoi… pourquoi… dire cela ? dit-elle avec un accent irrésistible de sincérité vraie ; et comme sa voix était poignante ! Est-il possible que mon appel vous ait offensé ?… que vous n’ayez rien compris ? Oh ! non, vous n’avez rien compris. Vous n’avez pas compris ce que je vous disais. Dieu sait ce