Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/279

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leva, resta quelque temps immobile, se rassit, relut la correspondance, se releva, se coucha sur son lit, et, les mains croisées derrière la tête, comme un homme envahi par le brouillard, regarda longuement la muraille. Peu à peu cette muraille s’effaça, disparut, et il aperçut devant lui, et le boulevard sous un ciel gris, et elle dans sa mantille noire, puis elle encore sur l’estrade, puis lui-même à côté d’elle. Ce même choc, qui l’avait si violemment frappé à la poitrine au premier moment se mit à remonter… à remonter lentement vers la gorge. Il voulut s’éclaircir le gosier, il voulut appeler ; mais sa voix le trahit, et, à son propre étonnement, des larmes abondantes jaillirent de ses yeux. Qu’est-ce qui avait excité ces larmes ? La pitié ou le remords ? ou simplement les nerfs qui n’avaient pu résister à un coup subit ? Car elle n’était rien pour lui, n’est-ce pas ?

Une pensée soudaine lui traversa la tête : Mais peut-être n’est-ce pas vrai ? Il faut s’informer. Mais auprès de qui ? De la princesse ? Non, auprès de Kupfer, de Kupfer… Mais on dit qu’il n’est pas à Moscou. C’est égal, c’est par lui qu’il faut commencer. Aratof s’habilla rapidement, prit un isvostchik et partit au galop.

IX

Il n’espérait pas le trouver à la maison, et cependant il le trouva. Kupfer avait, en effet, quitté Moscou pour quelque temps ; mais il était de retour depuis une semaine et se proposait d’aller voir Aratof. Il le reçut avec sa bonne humeur habituelle et déjà allait lui raconter quelque chose, lorsque Aratof l’interrompit avec impatience :

— Tu as lu ? C’est vrai ?

— Quoi ? C’est vrai ? répondit Kupfer étonné.

— Au sujet de Clara Militch.

Le visage de Kupfer exprima la pitié.

— Oui, oui, frère, c’est vrai, elle s’est empoisonnée ! Quel malheur !

Aratof se tut un instant :