Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/283

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écartées, et vous rugit : « Où vas-tu ? » Non, décidément, je ne puis comprendre pourquoi elle s’est empoisonnée ! Elle en aura eu assez de la vie, conclut philosophiquement Kupfer.

Aratof se tenait assis, la tête penchée.

— Peux-tu me donner l’adresse de cette maison à Kazan ? dit-il enfin.

— Je le puis, mais qu’en veux-tu faire ? Voudrais-tu y envoyer une lettre ?

— Peut-être.

— C’est ton affaire ; seulement la vieille ne te répondra pas, car elle ne sait pas l’orthographe. La sœur, peut-être. Elle est bien intelligente, la sœur ; mais je dois te dire que tu m’étonnes. Quelle indifférence auparavant, et maintenant quel intérêt ! Tout ça, mon cher, vient de la solitude où tu vis.

Aratof ne répondit rien à cette observation et s’en alla, muni de l’adresse demandée.

Quand il s’était rendu chez Kupfer, son visage exprimait l’agitation, l’étonnement, l’attente. Maintenant, il allait d’un pas égal, les yeux baissés, le chapeau enfoncé sur le front. Plus d’un passant le suivit d’un regard interrogateur, mais il ne faisait pas attention aux passants ; ce n’était pas comme cette autre fois sur le boulevard.

« Malheureuse Clara, Clara l’insensée ! » Ce refrain résonnait en son âme.

X

Et pourtant, le lendemain, Aratof fut tranquille et reprit ses occupations. Il ne pouvait s’empêcher de penser à ce que Kupfer lui avait dit la veille, mais ses réflexions étaient assez paisibles. Il lui semblait que cette étrange jeune fille l’intéressait au point de vue psychologique, comme une énigme dont il valait la peine de chercher le mot. Elle s’est enfuie avec cette actrice entretenue ; elle s’est mise sous la protection de cette princesse, chez laquelle elle a demeuré ; et pas d’intrigue amoureuse ? Invraisemblable ! Kupfer parle de sa fierté ; mais nous