Page:La Nouvelle Revue, vol. 20 (janvier-février 1883).djvu/302

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De légers arpèges parcoururent rapidement les touches du pianino… puis la voix reprit, plus forte maintenant ;… des sons répétés suivirent, toujours plus distincts, puis enfin se détachèrent des paroles :

— Des roses ! des roses ! des roses !

— Des roses ! murmura Aratof. Ah ! oui, les roses que j’ai vues sur la tête de la femme du rêve.

— Des roses ! entendit-il de nouveau.

— Est-ce toi ? demanda Aratof, toujours à voix basse.

La voix se tut.

Aratof attendit quelque temps, puis laissa retomber sa tête sur l’oreiller. Une hallucination de l’ouïe, pensa-t-il. Mais si… si pourtant elle était ici, tout près de moi ?… Si je la voyais, m’effraierais-je ou me réjouirais-je ? Mais pourquoi m’effrayer, pourquoi me réjouir ? Serait-ce parce que j’y verrais une preuve qu’il y a un autre monde, que l’âme est immortelle ? Mais si même je voyais quelque chose, cela pourrait être tout aussi bien une hallucination de la vue…

Il alluma pourtant la lumière, parcourut d’un rapide regard, non sans quelque terreur, toute la chambre. Il n’y trouva rien d’extraordinaire. Il se leva, s’approcha du stéréoscope… Toujours cette poupée grise avec ses yeux détournés. Un sentiment de dépit remplaça celui de terreur chez Aratof. Il avait l’air d’être trompé dans son attente, et cette attente même lui parut ridicule.

— C’est absurde, à la fin ! murmura-t-il en se recouchant et en soufflant la bougie.

De nouveau l’obscurité profonde. Aratof était cette fois bien décidé à s’endormir… Mais une nouvelle impression surgit. Il lui sembla que quelqu’un se tenait au milieu de la chambre et respirait faiblement et longuement… Il se retourna brusquement, ouvrit les yeux… Mais que pouvait-on distinguer dans ces ténèbres ?… Il se mit à chercher à tâtons une allumette… et tout à coup il lui sembla qu’un grand coup de vent, silencieux et mou, avait traversé toute la chambre, l’avait traversé lui-même et les mots : « C’est moi ! » retentirent distinctement. « C’est moi ! c’est moi ! »