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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/362

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LA MISSION DES VA-NU-PIEDS


Une rue de New-York, située entre les quartiers élégants qui précèdent et entourent Central Park et les quartiers affairés du Down Town, ce « bas de la ville » où s’agglomèrent les entreprises audacieuses d’industrie ou de finance. Elles sont paisibles, ces rues ; c’est à peine si l’on y perçoit le vacarme lointain du chemin de fer aérien qui circule le long des avenues. Elles sont toutes semblables ; on les a numérotées pour s’y reconnaître. Elles ont un cachet particulier d’Angleterre coloniale. Les maisons solides, mais inélégantes, qui y alignent leurs monotones façades à trois fenêtres et leurs portes sombres à un battant, auxquelles donnent accès des perrons de pierre grise, ont été les demeures enviées des premiers enrichis ; ceux qui les élevèrent avaient connu l’âpre bataille du début et réalisé, en les élevant, une ambition longtemps caressée. Les gens simplement « à leur aise » y résident aujourd’hui, mêlés aux aristocrates qui se font gloire d’habiter de vieux murs, et à des œuvres de charité dont les bureaux s’accommodent du silence discret qui distingue ces lieux.

C’est là que le petit Tello d’Apéry a installé sa mission des va-nu-pieds et les bureaux de son journal. Qu’il me pardonne de lui attribuer ce qualificatif retardataire : Tello d’Apéry est maintenant un jeune homme de dix-sept ans, qui a déjà beaucoup de décorations européennes sur la poitrine et dans son court passé plus de bonnes actions qu’il n’en faudrait pour faire entrer au paradis vingt vieilles dévotes. Mais de tous les portraits qu’on a faits de lui, j’en préfère un qui le représente à l’âge de douze ans, vêtu d’une blouse à plis en drap chiné, avec son grand col blanc et son air décidé d’écolier américain ; et j’ai peine à séparer sa physionomie d’alors de l’entreprise à laquelle il a attaché son nom.