Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/697

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LETTRE A MES AMIS D’AMÉRIQUE

SUR

L’ART DANS UNE DEMOCRATIE"

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Mes amis,

J’ai passé l’hiver dernier cinq mois à voyager dans votre pays, à me passionner au contact de votre civilisation nouvelle. J’avais quitté la France démoralisé. Le vieux continent traverse une crise singulière. — Les voies nouvelles de communication, les chemins de fer, les télégraphes, les téléphones et les mille conventions postales, monétaires, etc., rapprochant brusquement les peuples alors que leurs principes gouvernementaux restent quasiment les mêmes, il s’ensuit cet anachronisme de voir la République française avoir à sa frontière des monarchies parlementaires, des monarchies militaires, de la voir alliée à une monarchie de droit divin en même temps impériale et religieuse, et tout cela produit cet état incohérent où nous vivons, autant qu’une suspicion extrême entre les peuples qui, pour garder la paix, sont tous obligés de s’armer jusqu’aux dents. Lorsqu’un individu, conscient de sa force comme de sa ïai- (1) On comprendra que la directrice de la Nouvelle Revue, fanatique d’art traditionnel, de beauté classique, de sélection et de choix épuré des sujets, ait lu avec une sorte d’épouvante l’éloquent plaidoyer de M. Raffaëlli en faveur de l’art purement individuel, actuel, et du droit universel de la masse des choses à l’interprétation artistique.

Les révolutions les plus radicales dans le passé ont toujours amené l’art à des lois initiales, à des renaissances athéniennes ; la révolution démocratique dont M. Raffaëlli se fait l’apôtre ne livrera-t-elle pas l’art à la fantaisie personnelle, sans règle et sans code ?