Aller au contenu

Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/773

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

traits d’actrice entrevus tout à l’heure à la vitrine d’un papetier. Elle a la coiffure ondulée et longue, le décolletage encadré de ruches blanches, le médaillon d’or au cou, l’embonpoint naissant, le galbe un peu lourd des cantatrices à la mode. Sa traîne où se mêlent des nœuds et des volants compliqués la rend plus majestueuse encore. Des bracelets tintent dans les dentelles de ses manches. Elle sent bon la poudre de riz. Ah ! certes, dans mes songeries d’enfant, pendant le voyage d’Auray à Paris, je n’imaginais point que parrain Gannerault, humble et bonhomme, pût avoir une épouse si parfaitement imposante, digne en tout point du salon blanc et or.

— Mon ami, vous pouvez y compter. Je serai sa mère. L’enfant de cette pauvre Jeanne ! Elle a huit ans, dites-vous ? Voilà une bien petite sœur pour notre grand Maxime. Allons, ne crains rien, mignonne. Il faut m’embrasser.

— Oui, madame.

— M’aimer un peu.

— Oui, madame.

— Et m’appeler maman.

L’appeler maman ! Je ne sais quel sentiment où se mêlaient la religion de l’habitude, l’effroi du deuil récent, une antipathie inexplicable pour cette élégance, cette poudre de riz, ces grâces maniérées, me fit révolter tout entière, Je détournai la tête. Je repris la main de mon parrain et de nouveau je fondis en larmes.

La dame blonde restait consternée. Pendant que M. Gannerault, ému, me consolait, cherchant de douces paroles : — Marianne ! Voyons, Marianne, mon enfant ! — un désespoir puéril, immense, me secouait. Maman ! maman ! Non, je ne pourrais pas, je ne voulais pas l’appeler maman, cette dame trop grande, trop belle, trop élégante, près de qui j’allais vivre désormais. Il demeurerait, le nom cher et sacré, premier balbutiement des lèvres innocentes, à la pauvre morte endormie dans le cimetière d’Auray. Ce nom l’évoquait tout entière, mince, blanche sous ses bandeaux noirs, l’air délicat, la voix faible et douce, telle que je la voyais tout le jour assise à son bureau avec ses livres, ses papiers, son menu bagage d’institutrice étalé devant elle. Car elle était institutrice et de la plus modeste catégorie, suppléant les religieuses enseignantes du couvent voisin et donnant des leçons mal rétribuées dans quelques familles de vieille