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Page:La Nouvelle Revue, volume 102 (septembre-octobre 1896).djvu/775

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— C’est ça ! tu m’appelleras marraine, puisque je suis la femme de ton parrain.

Et elle ajouta :

— Cela vaut mieux à cause de Maxime. Il serait peut-être jaloux ! Il m’aime tant !

C’est ainsi que je fis mon entrée dans la famille Gannerault.

II

Il me fallut bien des jours pour accepter la vie nouvelle. Mme Gannerault, l’intérêt de la nouveauté affaibli, me laissait vite à moi-même. Ma petite vie s’organisa dans la vie générale, remplie d’étroits devoirs, de naïfs soucis, bornée par les livres d’étude, l’autorité des grandes personnes, le sourire peint des poupées. Je fus l’enfant taciturne et douce qui joue toute seule, rêve des heures dans un coin et parfois ouvre ses oreilles et ses yeux étonnés aux échos, aux aspects de la vie… Les souvenirs d’Auray pâlissaient dans ma mémoire et de la nuit confuse du passé émergeaient seulement quelques scènes, le parloir du couvent, la chambre de ma mère un jour que la fenêtre était ouverte et qu’il pleuvait, puis des paysages décolorés, le Loch, la chapelle Sainte-Anne, le quai de Saint-Goustan, comme des lambeaux arrachés à quelque ancienne et splendide tapisserie… J’oubliais le nom des religieuses, la direction des rues, l’aspect des maisons et des visages qui me revenait parfois tout déformé. Ma mère elle-même était une ombre dans un pays de limbes, une silhouette qui s’effaçait sous la fine cendre des jours et des jours…

Bien nourrie, bien vêtue, bien traitée, je trouvai chez mon parrain toute espèce de petites douceurs auxquelles je n’étais pas habituée. Mais je ne sais quel malaise me rendait la maison triste au retour des promenades : était-ce la gêne de vivre dans un lieu qui ne m’était point familier, le silence des repas de famille, l’hostilité latente qui s’épanchait en paroles aigres, en reproches dont je ne comprenais pas le sens et clouait toute la soirée le mari devant ses livres, la femme devant son piano ? Les enfants ont la sensation presque physique des choses anormales. Je sentais avant de le savoir que parrain et marraine ne vivaient pas en bonne intelligence. M. Gannerault, brave homme peureux