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Page:La Nouvelle Revue, volume 74 (janvier-février 1892).djvu/518

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il resserre le lien trop lâche qui unissait les provinces de son immense domination, et par là le rôle civilisateur de la Russie est déterminé pour l’avenir.

C’est pour cette raison même, et se plaçant à ce point de vue, que l’on pourrait dénier à Charles XII la gloire d’un homme d’État prévoyant, lorsque, s’alliant à l’ennemi de la chrétienté il la sacrifia à sa jalousie contre le Tsar Pierre. Jalousie de dévastateur, contre l’organisateur d’un empire, péché contre l’esprit de l’histoire, qui fut aussi celui des puissances d’Europe chaque fois que la Russie a versé son sang dans la lutte contre les barbares.

Or, ce qui a empêché l’assimilation des Russes avec l’Europe occidentale, c’est la scission religieuse qui existe entre l’Église romaine et l’Église grecque. Et cependant l’Église d’Orient remonte par ses ancêtres aux premiers siècles de l’ère chrétienne ; elle a passé par les synodes ; elle a traversé la réforme et la renaissance sans s’abâtardir comme le protestantisme, exempte des terribles luttes intestines, des massacres de la Saint-Barthélemy et des chambres ardentes. Ce n’est pas pour sa religion qu’il faut chercher querelle au géant redouté, méconnu et diffamé. Vaudrait-il mieux lui intenter procès au sujet de sa politique agressive ? Afin d’entrer en relations commerciales avec l’Europe, la Russie s’est emparée des provinces baltiques, autrefois conquises successivement par les Brandebourgeois, les Danois et les Suédois ; et la Russie a bien fait, car elle a ouvert des ports sur la Baltique aux grandes puissances occidentales, comme elle a dressé des remparts contre les barbares du Nord.

La Russie, il est vrai, a pris part au partage de la Pologne, ce crime, selon le droit du sentiment, cette nécessité, selon le droit de l’histoire. La Pologne avait fait son temps, avait accompli sa mission de brise-lame contre l’océan asiatique ; elle était devenue un organe atrophié, inutile dans l’évolution européenne, et c’est pourquoi elle s’est désagrégée.

Mais ce qui parle hautement en faveur de l’empire des Tsars, ce sont les services indéniables qu’il a rendus à l’Europe, en chassant les Mongols, en faisant échec aux Turcs, en réduisant les tribus sauvages pour les enrégimenter dans l’armée des frontières.

Ce sont encore les Tsars qui ont défriché la Sibérie, et qui, par la conquête de la mer Caspienne, ont établi des routes mari-