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Page:La Nouvelle Revue, volume 76 (mai-juin 1892).djvu/555

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se réhabilite devant lui-même, devant son bienfaiteur et devant les hommes.

Quant au désintéressement, c’est un de ces « instincts de troupeau » qui sont particulièrement suspects à Nietzsche. La société loue le désintéressement parce qu’elle y trouve son avantage. Si ceux qui profitent de cette soi-disant vertu étaient eux-mêmes désintéressés, ils protesteraient énergiquement contre le préjudice porté aux droits de celui qui se dévoue.

Ce que nous appelons la justice n’est qu’une présomption grossière, une ironie. Abstraction faite des formes toujours changeantes et toujours aléatoires qu’elle revêt, elle ne peut s’occuper que du côté superficiel et extérieur des torts ou crimes qu’elle s’arroge de punir. L’enchaînement infiniment compliqué, les préliminaires, tout ce qui fait la compréhension intime d’un acte, lui échappera toujours, et pût-elle comprendre, elle n’aurait à son service que des mesures rudimentaires, toujours les mêmes, pour les cas les plus dissemblables.

Nietzsche n’est pas moins dur pour les conceptions idéales de l’âme humaine.

La religion, pour ce contempteur, est naturellement chose surannée. Néanmoins, il admet que le catholicisme des races latines répond à un besoin intime qui fait défaut aux races protestantes du Nord. Pour les catholiques, ne pas croire signifie s’insurger contre sa race, tandis que pour les protestants du Nord, c’est au contraire revenir aux particularités de sa race. Puis, Nietzsche est reconnaissant à la religion d’avoir enrichi l’âme humaine de sensations nouvelles, de capacités d’extase qu’elle n’aurait jamais connues sans le sentiment religieux.

Ce que nous possédons de meilleur en nous est peut-être l’héritage de sensations que nous ne pouvons plus, à l’heure qu’il est, éprouver sous leur forme première, mais que nous transportons sur d’autres sujets.

Il a une prédilection marquée pour l’Ancien Testament, dans lequel il trouve confirmé son idée sur les hommes d’autrefois.

Nous restons saisis d’effroi et d’admiration respectueuse devant ces débris gigantesques de ce que l’homme était autrefois.

Le goût pour l’Ancien Testament lui paraît même la pierre de touche d’une âme forte.

Il est curieux d’entendre un Allemand parler du patriotisme