Page:La Nouvelle Revue - 1897 - tome 105.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
LA NOUVELLE REVUE.

Voilà soixante-dix ans que cela dure ! Soixante-dix ans qu’à chaque fois que la question grecque a été soulevée, l’Europe a ajouté à la longue liste de ses perfidies quelque trait nouveau. Elle a manqué à sa parole, repris sa signature, menti à sa mission ; elle a été égoïste, indifférente, cynique et cruelle… Et de nouveau elle réclame impatiemment de la Grèce une preuve de sagesse et s’indigne qu’on ose lui résister ! Sur deux pointes du croissant pendent des lambeaux de l’honneur européen.

Mais le plus étonnant, c’est, en vérité, cette « reconnaissance » dont il est, à chaque instant, question dans les documents officiels et dans les publications officieuses. On dirait vraiment que c’est à l’Europe que la Grèce doit son émancipation ! On dirait que Navarin a eu lieu en 1822 ou que l’initiative d’Ypsilante date de 1827. On oublie que l’Europe n’a « volé au secours » des Grecs qu’après quatre années de honteux marchandages et que les gouvernements n’ont été unis, en cette circonstance, que par le désir de se gêner et de s’entraver les uns les autres.

La reconnaissance que les Grecs doivent à l’Europe, c’est celle que les Parisiens doivent à l’édilité et à ses balayeurs ; la tâche a été la même : entretenir la boue quand il y en a et en fabriquer quand il n’y en a pas.

Seulement, la boue d’Orient est faite avec du sang.


Pierre de COUBERTIN.