Page:La Nouvelle Revue - 1899 - tome 117.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
DEUX COURTS RÉCITS

infirmière se leva, et se penchant sur lui, l’appela, d’un élan étouffé : « Sénateur ! Sénateur ! » Celui-ci ouvrit des yeux troubles et tourna la tête dans la direction de la voix : « Une visite, Sénateur ! — Une visite ! » — « Sa Majesté ?  », bégaya le Sénateur, « Sa Majesté ? », et il essaya de lever la tête. — « Oui, oui, Sa Majesté ! » dit le petit prêtre, en prenant aussitôt l’accent de l’enthousiasme. Les yeux du Sénateur s’allumèrent.

« Le Roi ? le Roi ? » dit-il.

« Dieu ! » répondit le prêtre. Le châle gris lui glissa des épaules dans le geste qu’il fit pour tirer de sa poitrine un crucifix qu’il éleva les mains jointes en même temps qu’il redressait la tête emporté par son zèle imprudent. « Sa Majesté Divine, Dieu grand, Dieu miséricordieux qui vous ouvre les bras, qui vous appelle, qui m’envoie moi, son ministre… » Quand il avait dit « Dieu ! » les couvertures avaient bougé comme si l’agonisant était pris d’une convulsion. Lorsqu’il dit « son ministre » une voix, gutturale, étrange, peureuse, l’interrompit. Les couvertures cessèrent de remuer. Le prêtre, épouvanté, regarda H. Il était mort.

Le nom de Dieu l’avait frappé et tué en quelques secondes qui suffisent pour nous laisser ainsi qu’à la Princesse une pieuse espérance ; mais le chanoine ne saurait dire ce que le gauche et trop simple prêtre a été dans les mains de Dieu : un instrument de piété ou un instrument de colère et de justice.


A. FOGAZZARO,
traduit de l’italien par H. Aymé-Martin.