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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

par un riche industriel nantais qui s’en était dégoûté aussitôt après avoir satisfait son caprice. Les fenêtres s’ouvraient sur un admirable paysage de mer, toute la baie de Concarneau cerclée de verdure ; les vagues venaient mourir au fond d’une crique où descendaient des chênes dont les racines semblaient se mêler aux algues.

De là on pouvait se rendre à Kerarvro qu’une armée d’ouvriers transformait déjà. Dès la fin de l’été ils allèrent s’y installer et surveillèrent eux-mêmes les derniers travaux et l’ameublement. L’architecte avait fait merveille ; on avait construit une quatrième tour, haussé les toitures, rafraîchi et sculpté les granits, modifié la distribution intérieure, relié les deux ailes par une terrasse ; on élevait maintenant des communs d’un style élégant et tout moderne qui contrastait joliment avec la majesté antique du château lui-même. La forêt était reculée à plusieurs portées de fusil et le sol défriché se couvrait déjà d’un épais gazon.

Cependant la marquise se trouvait enceinte. Elle ne souhaitait pas que son enfant naquit en Bretagne ; il lui semblait qu’à Paris il échapperait plus sûrement à cette influence dramatique qui s’était si étrangement exercée sur ses parents à elle et sur ses frères. Ils se mirent en route par un temps neigeux aux approches de Noël. Comme elle se le rappelait, ce départ, et les larmes sans cause qu’elle avait versées et la tendresse inquiète de son mari qui la consolait ! Au bas de la côte elle avait voulu à toutes forces faire arrêter la voiture et descendre avec lui dans une petite clairière qu’ils affectionnaient et d’où précisément les percées récentes permettaient d’apercevoir un coin du château,… c’est là qu’aujourd’hui s’élevait la pyramide en marbre blanc.

Le 15 février 1870, la marquise accoucha d’un fils qu’on appela Étienne, comme son père, Henri, en l’honneur de M. le comte de Chambord, son parrain, et Yves à cause de la Bretagne où il vivrait. La mère, tourmentée pendant sa grossesse de pressentiments sombres, nota avec soulagement que tout se passait pour le mieux. Ils habitaient l’hôtel Crussène situé entre la rue de Grenelle et la rue de Varennes non loin de l’ambassade de Russie. La cour avec son grand portail et sa symétrie architecturale, semblait un peu revêche. Mais l’autre façade de l’hôtel donnait sur un jardin superbe que les petits oiseaux du quartier affectionnaient ; la marquise ne se lassait pas d’écouter leur babil. Quand elle pût