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jamais que des élèves soient efficacement formés à la liberté sous des maîtres qui ne sont point libres, et d’autre part les maîtres ne sauraient être libres sous un chef qui n’a ni indépendance, ni autorité, ni stabilité. Tel est le proviseur.

On répète parfois ce propos si curieux : « Les Français ne sont pas faits pour la liberté » ce qui revient à dire ou bien qu’ils ne sont pas assez avancés dans leur évolution pour se gouverner eux-mêmes ou bien que leur tempérament ne leur permettra pas de parvenir jamais au self-government. Il suffirait de réfléchir pour comprendre l’absurdité de pareilles propositions ; le peuple français est le plus avancé de l’Europe en ce sens que son passé est plus long et plus chargé que celui d’aucun autre peuple ; l’impossibilité de porter un régime libre constituerait pour lui une incapacité inadmissible chez un peuple arrivé à ce degré de son évolution, car la liberté étant pour l’homme la fin dernière de la civilisation, dire qu’un peuple n’y peut pas parvenir, c’est dire qu’il ne peut être civilisé au-delà d’un certain niveau et d’un niveau très bas. Il serait plus simple de penser que les Français ressemblent aux ouvriers qui apprennent un peu trop tard à manier un outil et y éprouvent plus de difficulté que leurs camarades… ils y arrivent quand même, mais seulement par la pratique.

Qui nous dit d’ailleurs que le proviseur français n’est pas apte à gouverner son lycée et le lycéen, ses jeux… qui nous le dit puisqu’on ne leur a jamais donné le moyen de s’y essayer franchement ? Quelques proviseurs ont tenté de le faire à leurs risques et périls ; avec une prudente audace ils ont jeté les bases d’un régime libéral. Et en maints lycées, les modestes essais d’associations scolaires ont permis de constater chez les potaches de précieuses qualités de droiture, d’énergie, de persévérance qui ne demandent qu’à se développer… mais alors, par une savante combinaison de douceur feinte et de dureté cachée, on a semé le désordre dans cette œuvre naissante ; on a donné le change à l’opinion qui s’y intéressait en décernant des éloges publics aux novateurs et en même temps on les a persécutés, entravant l’avancement de celui-ci, décourageant celui-là par une série de passe-droits, leur suscitant par des voies indirectes des obstacles de tout genre et regrettant de ne pouvoir atteindre aussi facilement les hommes auxquels leur situation pleinement indépendante permettait de laisser passer en les dédaignant les attaques et les calomnies. La routine aurait-elle eu besoin de déployer, pour défendre ses positions,