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LE ROMAN D’UN RALLIÉ[1]




PREMIÈRE PARTIE

(Suite.)



La Marquise avait la sérénité de l’inexpérience et des convictions trop fortes. Elle pensait qu’un cœur « bien né » est à l’abri des séductions mauvaises et ne s’alarma qu’en voyant son fils revêtir pour un an un dolman de chasseur à cheval. Elle n’avait pas craint le mal élégant ; elle craignit le mal grossier. Cette année de service militaire fut pourtant paisible et reposante pour Étienne ; bon cavalier, suffisamment philosophe et aimant le contact des êtres simples, il la vécut toute entière sans secousses et sans accrocs. Il quitta néanmoins ses galons neufs sans regret et reprit ses études au point où, douze mois plus tôt, il les avait laissées. Mais bientôt il constata avec une surprise douloureuse que quelque rouage semblait s’être faussé en lui. Il n’était plus le même… Cette polymorphie des choses qui l’avait de si bonne heure captivé ne lui suffisait plus. À quoi bon, pensait-il, à quoi bon compter les faces d’un prisme si l’on doit ensuite professer que ce prisme est une figure plane et n’a, par conséquent qu’une seule face ? Est-ce une joie pour le prisonnier de contempler les libres espaces qui lui sont interdits ? pour le miséreux de voir s’étaler sous ses yeux le bien-être dont il ne jouira jamais ?

Étienne avait le malheur d’être poussé à l’action et de ne pouvoir agir. L’action, il la voyait partout, revêtant les formes les plus variées et les plus attrayantes ! Ce qu’inconsciemment il

  1. Voir la Nouvelle Revue du 15 février 1899.