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LE ROMAN D’UN RALLIÉ[1]




DEUXIÈME PARTIE

(Suite.)




Elle prit le gouvernail d’une main ferme, se mit au courant de la fortune de son fils et de la sienne et les administra comme un intendant fidèle. La lecture occupa une part considérable de son temps ; elle lut tout ce qui pouvait l’éclairer sur sa tâche d’éducatrice, mais ses idées sur ce point se modifièrent peu parce qu’elle avait un credo trop détaillé dont les articles ne se discutaient point. Elle se créa aussi de nombreux devoirs de charité ; elle visita les pauvres à cinq lieues à la ronde et étudia même un peu de médecine pour leur donner des soins à l’occasion. Un jour par semaine elle se tint à leur disposition et distribua chez elle des secours, des conseils, des médicaments. C’était alors un défilé interminable de loqueteux, d’estropiés, de femmes portant des enfants malades ; la procession contournait le beau château entouré de parterres fleuris et passait devant le lion de granit armé du glaive… c’était un spectacle étrange. Un jour un petit docteur radical qui faisait plus de politique que de clientèle la dénonça pour exercice illégal de la médecine. La marquise partit pour Saint-Brieuc et le Préfet vit entrer dans son cabinet une dame jeune et belle, vêtue de noir, qui avec une politesse exquise et glaciale l’invita à venir se rendre compte par lui-même de la portée qu’avait la dénonciation. Le fonctionnaire troublé n’accepta pas mais s’empressa d’étouffer l’affaire. Autour de Kérarvro et jusque dans les cantons voisins, madame de Crussène était sinon très aimée, du moins admirée et respectée de tous.

Mais les paysans qui, devant elle, se sentaient intimidés, gar-

  1. Voir la Nouvelle Revue des 15 février, 1er et 15 mars 1899.