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LA NOUVELLE REVUE

quand ils passèrent. La neige amortissait le bruit des roues : pas une lumière ne brillait aux fenêtres. Un peu plus loin, ils s’arrêtèrent pour laisser souffler la jument ; mais elle était pressée de repartir et tapait du pied. Les lanternes jetaient des lueurs bizarres sur la route. Au loin s’étendait le grand linceul, visible malgré l’obscurité. Il y avait longtemps que les paysages familiers avaient disparu lorsque le jour commença de poindre, un jour blafard, vilain à regarder, une vraie aube d’enterrement. Tout le pays était désert. Un bourg se montra enfin au tournant du chemin. Étienne ralentit dans l’espoir d’une auberge où on pourrait lui servir du café chaud. Il y en avait une en effet où des ouvriers terrassiers se trouvaient déjà attablés ; ils parlaient un patois morbihannais et avaient près d’eux des pics et des pioches. Les deux jeunes gens se réchauffèrent avidement à un grand feu qui pétillait dans la cheminée de pierre grise ; le café acheva de dégourdir leurs membres. Quand ils repartirent, il faisait plein jour. Un peu au delà du bourg la neige cessait ; l’ouragan de l’avant-veille n’avait pas soufflé là. La température plus douce, le paysage agréablement varié et surtout le repas réconfortant qu’ils venaient de prendre les mettaient en belle humeur.

À dix heures moins le quart, les sabots de Coquette heurtèrent le pavé des rues de Chateaulin : il y avait un peu plus de cinq heures qu’ils s’étaient mis en route. Étienne s’occupa d’abord de la jument et l’installa confortablement dans l’écurie du meilleur hôtel. Puis il fit servir à déjeuner et entre temps s’enquit des moyens de se rendre au Menhir Noir. Tout ce qu’il savait de cet endroit dont la marquise ne prononçait jamais le nom, c’est qu’il était situé à environ 25 kilomètres de Chateaulin, dans cette longue presqu’île qui sépare la rade de Brest de la baie de Douarnenez. L’hôtelier consulté, envoya quérir le cocher de la diligence qui fait le service entre Chateaulin et Crozon. « Le Menhir-Noir ? dit cet homme, ah ! oui, parfaitement ; il faudra descendre un peu avant Crozon et prendre à droite ; vingt minutes de marche environ et vous y serez ». À onze heures, la vieille patache s’ébranla. Dans l’intérieur se trouvaient trois Bretonnes à coiffes blanches ayant chacune un panier à provision et un gros livre de messe. Elles avaient cumulé les avantages matériels et spirituels du marché hebdomadaire et d’une grand messe en l’honneur d’un saint local. Étienne prit place sur le siège à côté de l’automédon, lequel commença aussitôt de lui faire les honneurs du pays. En homme