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LE ROMAN D’UN RALLIÉ

tude du jeune homme n’indiquât trop clairement qu’un incident grave était survenu entre eux. Le regard qu’Étienne lui avait jeté après l’avoir surprise pesait encore sur elle. Elle se félicitait d’avoir vingt-quatre heures devant elle pour envisager la situation et en tirer le meilleur parti. Vers trois heures comme, enfermée dans sa chambre, elle réfléchissait à ces choses, un domestique vint la prier de descendre au salon. Il y avait une visite. C’était Yves d’Halgoët qui, rentré chez lui depuis deux jours après une absence de plusieurs semaines, était pressé d’avoir des nouvelles de son ami. Éliane se mit en frais pour lui et découvrit tout de suite qu’en affectant une gaîté insouciante et de l’ingénuité mêlée à un peu de blague parisienne, elle lui plairait. Il la trouva gentille en effet et la fit parler, tâchant de savoir ce qu’elle faisait à Kerarvro ; car il connaissait trop bien Étienne pour douter un seul instant qu’il pût s’éprendre d’une pareille femme et l’épouser. Grâce à cette diversion, Éliane passa une journée moins maussade qu’elle ne s’y attendait. Elle avait constaté d’ailleurs, qu’Yves professait une très haute estime pour le caractère chevaleresque du marquis et elle sentait ses craintes s’évanouir et sa sécurité s’accroître.

Étienne, en toute autre circonstance et malgré ses efforts eût peut-être éprouvé quelque peine à demeurer lui-même en face d’une jeune fille dont la seule présence lui semblait déjà un défi jeté à celle qu’il aimait et dont le caractère lui apparaissait maintenant sous un jour odieux. Mais il rentrait de sa brève expédition, si ému, si résolu, ayant reçu au tombeau de son grand-oncle une telle secousse morale qu’il domina plus facilement cette impression. Il lui semblait que des semaines et non des heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait quitté Kerarvro. Ses manières vis-à-vis d’Éliane restèrent donc ce qu’elles avaient été jusque-là avec en plus une imperceptible nuance de mépris dont celle-ci fut seule à s’apercevoir.

Le lendemain du retour d’Étienne, Éliane très rassérénée et ayant recouvré tout son aplomb, alla trouver sa sœur et avec mille cajoleries lui insinua qu’elle avait hâte de regagner le Berri. La comtesse parut étonnée : « Pourquoi, dit-elle, es-tu si pressée de partir ; tu t’amuses ici ; on y est si bien et d’ailleurs ce ne sera pas long puisque nous devons être rentrés pour la fête de mon beau-père ; il n’y a que quinze jours d’ici là ». Éliane insista. « Tu comprends, fit-elle enfin en baissant modestement les yeux et en jouant avec un plissé de sa jupe… c’est par délicatesse que