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Page:La Nouvelle revue, troisième série, tome 05, 1908.djvu/480

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HYMNES À LA NUIT[1]


I

Qui, donc, doué de vie et d’intelligence, ne préfère, parmi tous les phénomènes de l’immense espace qui l’entoure, la toute éjouissante lumière, avec ses rayons et ses ondes, ses couleurs et sa douce omniprésence dans le jour ? Comme de la vie l’âme la plus intime, la respire le monde immensurable des astres infatigués, qui se baignent dans son océan d’azur ; la respirent l’étincelante pierre et la coite plante et, des animaux, l’énergie toujours mouvante et multiforme ; la respirent les nuages diaprés et les brises, mais, plus qu’eux tous, les divins étrangers aux yeux pleins de pensée, à la démarche légère, à la bouche mélodieuse. Reine de la nature d’ici-bas, elle appelle chaque force à d’innombrables transformations et, par sa seule présence, révèle la prodigieuse splendeur de l’empire terrestre.

  1. Novalis (1772-1801), pseudonyme littéraire de Friedrich von Hardenberg, est peut-être, à côté de Tieck et de Schlegel, le représentant le plus parfait du romantisme germanique. Ce grand poète, mort avant d’avoir atteint sa vingt-neuvième année, a laissé quelques écrits qui sont au premier rang des chefs-d’œuvre de la langue allemande. Longtemps oublié, remis en lumière par les symbolistes et les néo-romantiques comme leur plus illustre devancier, Novalis jouit en ce moment en Allemagne d’une vogue que la beauté de son œuvre doit rendre durable.

    Nous publions ici le chef-d’œuvre du poète — de son propre aveu — les Hymnes à la Nuit, traduites en français pour la première fois. Souvent rapprochées, en Allemagne, de l’admirable Tristan, de Richard Wagner, les Hymnes ont été composées dans des circonstances touchantes. Novalis était éperdument amoureux d’une très jeune fille, Sophie de Kühn, douée déjà, à treize ans qu’elle avait, d’un charme précoce, étrange et doux. Ils se fiancèrent secrètement ; elle était d’une faible santé. Novalis durant deux ans, la vit se mourir lentement. Elle s’éteignit dans son quinzième printemps et les Hymnes à la Nuit jaillirent de la douleur du poète, dont le génie sortit de cette crise amplifié et profondément marqué de mysticisme.

    Les principales œuvres de Novalis sont en outre les Chants spirituels dont l’inspiration est toute proche des Méditations de notre Lamartine, quelques Fragments et les Disciples à Saïs traduits par M. Maeterlinck, et un roman caractéristique, une sorte d’autobiographie intellectuelle, Henri d’Ofterdingen, récemment traduit par MM. G. Polti et P. Morisse.