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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

« avait des revenus inférieurs à 200 livres » ne pouvait « porter sur ses habits que de la dentelle valant moins de 2 shellings le mètre ». La sorcellerie était prévue et combattue. En 1692, dans le Massachusetts, cinquante-cinq personnes subirent la torture et vingt furent pendues sous l’accusation de sorcellerie. Ces choses durèrent longtemps. En 1792, 1797 et 1816, le Massachusetts adopta, à propos de l’observation du dimanche, des textes législatifs qui sont des monuments d’absurdité et d’intolérance. En 1741, à New-York, on brûla encore un prêtre catholique, et jusqu’en 1806 ses coreligionnaires furent exclus de tous les emplois et privés de tous leurs droits. Dans la correspondance d’Élisabeth Seton, on trouve ces lignes écrites le 28 décembre 1806 : « La veille de Noël, la populace s’est rassemblée pour jeter bas notre église et y mettre le feu. Un constable a été tué et deux autres blessés. La croix a été arrachée. » Dans le Maryland, la persécution fut si violente que Daniel Carroll, père du célèbre évêque, s’aboucha avec le duc de Choiseul pour organiser une émigration générale en Louisiane.

L’intolérance religieuse, il est vrai, ne tue pas les sociétés ; l’histoire l’a prouvé surabondamment. Il n’en est pas de même de l’ingérence des pouvoirs publics dans la vie privée. Aussi on peut s’imaginer ce que serait devenue la Nouvelle-Angleterre avec sa législation destructrice de toute initiative, ses entraves innombrables et ses controverses théologiques, si elle n’avait eu le péril franco-indien sur ses frontières pour la tenir en haleine et au dedans un germe fécond d’émulation démocratique. L’existence de ce germe est explicable par plus d’un motif. L’émigration, toute facilitée qu’elle soit de nos jours, demeure le fait du petit nombre. Beaucoup s’y résignent de loin qui n’ont pas au dernier moment le courage d’abandonner la terre natale. À plus forte raison en devait-il être ainsi au xviie siècle quand il s’agissait de gagner très lentement, à travers de nombreux périls, un continent presque inconnu où l’on n’était rien moins que certain de pouvoir vivre, d’où l’on avait bien des chances pour ne pas revenir. Ceux qui, même sous l’impulsion du sentiment religieux, le plus puissant de tous dans un temps de rénovation spirituelle, émigrérent en Amérique, représentaient donc, au point de vue de l’énergie, de la volonté et du caractère, une élite. Ils avaient passé en quelque sorte par une double sélection. Le fait de leur adhésion à des idées nouvelles, de leur recherche mala-