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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

bryonnaire. L’intervention incessante du peuple dans les affaires publiques entraîna le vote libre de l’impôt, la responsabilité des agents du pouvoir, le jugement par jury, l’élection des fonctionnaires au suffrage universel. Le sort des pauvres fut assuré ; on tint des registres de l’état civil ; on réglementa l’entretien des routes. Dès 1650, la commune américaine vécut d’une vie toute moderne. Quelle avance sur l’Europe d’alors, si brillante, si littéraire, mais si éloignée du droit, de la liberté et de la justice. Trois ans plus tôt on avait décidé que chaque bourg devait avoir une école primaire et s’il contenait plus de cent familles une grammar-school. Ce n’était qu’un amendement à cet admirable Acte de 1642 qui contenait en germe toute la législation actuelle en matière d’enseignement populaire. Boston possédait déjà depuis 1635 une école latine, et on avait mis de côté, à cette même époque, la somme de 400 livres en vue de fonder un établissement d’enseignement supérieur qui devait devenir la puissante université de Harvard. Dans les grammar-school, tous les enfants riches ou pauvres étaient admis. Ils y apprenaient « les principes des langues latine et grecque ». Quant à la milice, elle comprenait tout le peuple. Chaque habitant mâle entre seize et soixante ans était enrôlé dans une compagnie pourvue de ses officiers. Il était tenu d’entretenir chez lui et à ses propres dépens « un mousquet en bon ordre, une corne à poudre, une livre de cette poudre, douze pierres à feu, vingt-quatre balles de plomb, une boîte à cartouches et un havre-sac ». L’exercice militaire passionnait les jeunes gens ; il constituait à peu près leur unique distraction. Les escarmouches contre les Indiens leur servaient de grandes manœuvres annuelles. Les circonstances les préparaient de la sorte, sans qu’ils s’en doutassent, à tout un siècle de guerres qui s’ouvrait devant eux.

Ainsi se fortifiait la démocratie qu’une tourmente religieuse avait jetée sur ces lointains rivages. Ses progrès pourtant n’étaient pas aussi aisés ni aussi rapides que nous nous le figurons à distance. Parmi les puritains venus d’Angleterre, tous ne suivaient pas jusqu’au bout la logique de leur raisonnement, et leur tendance à l’égalité cessait parfois à la sortie du temple. Le révérend Cotton estimait que, pour l’Église aussi bien que pour l’État, la démocratie est une mauvaise forme de gouvernement. Il ne s’en cachait pas, et ce fut là l’origine de sa querelle avec le révérend Thomas Hooker, lequel se transporta un peu