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AVANT L’AMOUR.

droite, de ses questions, de ses remontrances. Assurément, elle souffrait de trouver son fils si peu tendre, uniquement préoccupé de ses affaires, parfois impatient, toujours dédaigneux. Et elle dissimulait mal une mauvaise humeur dont je supportais toujours les conséquences. Depuis l’histoire de ma lettre à Rambert, nos relations s’étaient tendues, et ma pauvre marraine, dont les bonnes intentions étaient mal servies par un jugement faux et une intelligence étroite, se croyait obligée à d’excessives sévérités.

— Qu’a donc ma mère à te tourmenter ainsi ? me dit Maxime, un jour, dans une promenade en tête à tête. Quel crime as-tu commis pour provoquer ces réticences, ces menaces, ces allusions lancées avec le tact habituel ?

J’hésitais. Puis, n’osant encore me confier à Maxime, jalouse de mon triste et cher secret, j’excusai ma marraine sans expliquer son attitude. Maxime me regarda :

— Tu n’as pas confiance en moi. Tu as tort. Je vois bien que tu n’es pas heureuse.

— Ne me rends pas ingrate.

— Ingrate !… Ah ! si tu as la superstition de la famille, tu es sacrifiée d’avance, crois-moi !

Je n’insistai pas. Maxime pourtant m’étudiait avec une curiosité croissante. Il se plaisait à développer devant moi les paradoxes les plus inattendus. Pressentant une épreuve, je me renfermais dans une réserve extrême, mais souvent je lui donnais raison. Trop inexpérimentée pour discuter, je le voyais démolir pierre à pierre le vieil édifice des principes et des lois, qui m’apparaissait respectable, malgré moi, et pourtant haïssable, temple de l’Intérêt, éternel Moloch avide de sacrifices. Et Maxime lui-même m’attirait, non par un charme de tendresse, mais par la secrète certitude de trouver en lui un allié, peut-être un défenseur. Sans rien connaître de sa vie sentimentale, je le devinais aigri comme moi, blessé comme moi, implacable adversaire des idées, des mœurs, des croyances, au nom desquelles on me persécutait.

J’avais été un peu effrayée d’abord de ses violentes diatribes et peu à peu je convenais qu’il n’avait point tout à fait tort, puis qu’il devait avoir raison. Il me montrait l’injustice et l’hypocrisie établies par le règne de l’argent dans ce monde bourgeois dont nous avions tous deux subi la contrainte, sans en accepter l’esprit. Les grands mots de liberté et de solidarité éveillaient dans