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Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/586

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— Je devine tout ce que tu ne me diras pas. Tu es venue remplie d’indignation, de remords, d’hypocrisie vertueuse. Je suis un fils dénaturé, un amant sans scrupules… Bref, j’ai dégringolé dans ton estime…

— Ce n’est pas tomber de bien haut.

— Charmant ! dit-il. Je m’y attendais. Je n’en serai pas moins sincère…

Il me regardait et commençait à sourire. Je reconnaissais ce mystérieux privilège de ma présence qui détendait en quelques minutes les colères de cet homme sensuel et violent, mais conscient de la tyrannie de sa passion jusqu’à s’en irriter contre lui-même. Car s’il revenait à moi, après nos querelles, par orgueil, par entêtement, il pressentait que ces belles formes d’énergie étaient complices d’une secrète faiblesse. Il savait que je mettais dans sa vie d’aléatoires chances de bonheur et des menaces certaines, qu’affranchi de mon souvenir il eût marché plus libre vers son but. Mais, contre toute prudence, une force le ramenait vers moi, un sentiment complexe où je devinais le plus obscur mélange d’amour, de méfiance, de haine. Et ce sentiment, qui tour à tour me faisait peur et me faisait honte, je l’admettais dans sa bizarre et cynique sincérité.

— Eh bien ? dit-il.

— Tu as cruellement frappé ton père.

— Es-tu venue ici pour me parler de mon père ?

— J’aime mon tuteur. J’ai ressenti le contre-coup du choc.

— Et tes sentiments se sont modifiés ?

— Oh ! je ne prétends pas renier le passé, ni l’excuser. Je puis déplorer mes actes, je ne les désavoue pas.

— C’est bien heureux. Et maintenant ?

— J’attends… Mais tu m’épouvantes. Avant tout, Maxime, réponds catégoriquement : que veux-tu faire de moi ?

— Ma maîtresse d’abord. Ma femme ensuite.

— Oh !…

— Tu as peur des mots. Ne l’es-tu pas plus qu’à demi, ma maîtresse, par un consentement volontaire et que je ne t’ai pas arraché ? Sois tranquille… Je ne t’abandonnerai ni ne t’abuserai. Tu me tiens trop bien… et trop fort !

Il prononça ces derniers mots avec un accent de sombre mélancolie. Je crus à sa promesse. Jamais l’idée de l’abandon n’avait effleuré mon esprit.