Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/588

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Meuilles sans l’égide de la vieille fidélité paternelle au parti conservateur ? Un Américain que je connais et dont je n’ai parlé à personne, John Sidley, du New-York Star, consent à me prêter les quelques milliers de francs nécessaires pour m’acquitter, si j’entre au Socialiste chrétien. Ce Sidley m’enrôlera dans son journal pour faire la correspondance parisienne, mais il tient à ce que j’aie le titre de rédacteur au Socialiste chrétien. Bonne réclame pour mon pseudonyme ! Il m’a dit : « Arrangez-vous. Quand paraîtra votre premier article, vous aurez les dix mille francs. »

— Mais si M. de Charny découvre ton identité ?

— Peu m’importe qu’il découvre mon identité le jour où je ne devrai plus un sou à sa femme, le jour où Des Meuilles appréciera mes services de collaborateur. Et si l’on m’ennuie avec mes aventures de Bruay, je m’avouerai converti, touché par la grâce. Je demanderai le rétablissement des processions.

— Je te croyais plus sincère. Si tes convictions cèdent devant des rancunes particulières et le besoin d’argent !

— Mais que puis-je faire sans argent ? Devais-je mourir de faim ?

Le mépris des hommes, épargnant les coureurs de dot, frappe les amants coupables d’accepter, fût-ce à titre de prêt, l’argent d’une maîtresse riche. Le mépris des femmes épargne ces mêmes amants s’ils aiment sincèrement l’amie généreuse, car les deux sexes ne conçoivent ni l’honneur ni l’amour de la même façon. Les femmes trouvent toute simple et naturelle la communauté de la bourse après la communauté du lit et si l’amoureux pauvre a des scrupules, elles lui reprochent sa fierté comme une marque de dédain. Mais l’entraînement de la passion n’excusait pas Maxime et je me rappelais, malgré moi, le vilain nom dont on stigmatise les exploiteurs de femmes, hercules de barrière ou galants bravaches, tendrement entretenus. Cette association d’idées n’était pas pour me rendre indulgente.

— Comment pouvais-tu accepter cet argent ?

— Cet emprunt te révolte. Je l’avais bien prévu. Mais, ma pauvre Marianne, il faudrait t’affranchir du préjugé commun. Quoi ? parce qu’une femme est une amante, il lui est interdit d’être une amie et cette générosité particulière que tu lui reproches n’est-elle pas le privilège de l’amitié ?

— Tu ne l’aimais pas. Tu prenais son argent et tu la trahissais.