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LA NOUVELLE REVUE.

qui va se passer et que la foule attend. Au-dessus des fidèles, agenouillés ou assis, un vaste jubé mystérieux, grillé comme un harem, s’avance en voûte depuis le mur de façade jusqu’au tiers de l’église ; on sent qu’il est rempli d’assistants invisibles, et parfois il s’en échappe des sons de tambour, des cliquetis de paillettes, comme si on se disposait là pour quelque étonnante musique.

Maintenant voici l’heure, et la messe va commencer. D’autres cierges, plus nombreux, s’allument. Une dizaine de moines, dont les robes et les capuches sont de soie blanche, entrent rituellement dans le chœur nuageux, précédés de diacres qui portent des lanternes au bout de longues hampes. Tout cela, ancien, fané et demi-barbare.

Et alors tout à coup, dans le jubé secret, là-haut, en l’air, éclate une musique stridente et étrange, qui fait presque frissonner après le bercement monotone des litanies : c’est que le Christ est né, c’est que le fictif triomphateur de la mort vient d’apparaître au monde, et on salue sa venue avec une soudaine et folle allégresse !… Deux ou trois hautbois, qui ont le mordant des musettes bédouines, mènent un chœur éperdument joyeux de voix d’hommes, scandé par une trentaine de tambours de basque et par une légion de castagnettes. Et tout cela, qui est si dissonant et si imprévu dans une église, arrive pourtant à produire, par son étrangeté même, une sorte de saisissement religieux. Ce sont de très vieux noëls du pays de Guipuzcoa, rapides et alertes comme des habaneras ou des séguedilles. Et les moines, qui font dans le jubé tout ce bruit de sauvage fête, accompagnent leur musique d’une sorte de pas rituel ; on les entend s’agiter en cadence, on voit trembler sur les murailles leurs ombres dansantes.

La messe, très compliquée, très longue, se continue dans un étourdissant fracas de hautbois et de notes humaines en fausset nasillard ; au-dessus de toutes les têtes noires enveloppées de voiles, au-dessus des vieux châles misérables, des vieilles chevelures grises, dans la fumée toujours plus épaissie de l’encens, les cantiques d’autrefois se succèdent avec une exaltation croissante, rythmés toujours par le petit tonnerre cuivré des tambourins, par le bruit sec et léger des innombrables castagnettes sonnant entre des doigts agiles…

Puis, quand tout est fini, il y a un mouvement pressé des