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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

de telles choses, naturellement, ne s’impriment point ; elles causeraient la perdition de beaucoup si on les lançait ainsi dans le public ; il n’y a que trop de tendances à oublier les saines pratiques des premiers puritains. Le colonial gentleman soupire. Il craint des catastrophes. Si puritaine que soit restée la terre qu’il habite, il trouve moyen d’y découvrir des « idées nouvelles » qui germent on ne sait comment. La jeunesse surtout l’inquiète. Cette première génération d’Américains a déjà quelque chose de hardi, de volontaire, d’indépendant, comme si quelque fée peau-rouge avait malicieusement jeté dans son berceau ces qualités dangereuses.

On comprend que M. John Campbell n’ait pas été absorbé par ses fonctions de directeur de la poste et qu’il ait trouvé le temps de fonder un journal. La poste vient une fois par mois de New-York à Boston par Hartford. Cela suffit, mon Dieu, pour ce qu’on a à se dire : il y a encore si peu de commerce ! Comment le commerce se fût-il développé sous le régime qu’impose la mère patrie ? On a, il est vrai, les petits sloops côtiers qui transportent des lettres et des voyageurs. C’est le moyen le plus sûr et aussi le plus rapide. Il faut trois jours pour aller ainsi de New-York à Philadelphie. Plus tard, il y aura un service de diligence, et vers 1766 on arrivera à faire ce trajet en deux jours. Les diligences de ce temps-là recevront de l’admiration des contemporains le nom de flying machines, machines volantes, train éclair !

La monnaie est rare. On a frappé de bonne heure les premières pièces d’argent, le pine-tree shilling. Mais on se sert encore de balles de fusil ou bien l’on paye en nature, avec des mesures de froment, de maïs, de haricots. À Albany, le pasteur reçoit, pour les frais du culte, « 150 peaux de castors ». New-York est resté très hollandais d’aspect. Les maisons alignent sur la rue leurs pignons dentelés, tout comme celles d’Amsterdam ou de Leyde. Il y a sur les portes de grands marteaux cuivrés que les femmes polissent et repolissent tous les samedis. Le soir, en matière de réverbères, chacun place une chandelle allumée sur une des fenêtres de sa façade. Une certaine animation règne autour de cette petite ville de 5,000 à 6,000 habitants. On traite les affaires dans de grands cabarets, et les disputes, les altercations ne sont point rares. Il vient des gens de mer qui aiment à se quereller dès qu’ils mettent le pied sur la terre ferme. Leurs éclats de voix