nostalgies me reprirent. Ma belle sérénité fit place à une humeur inégale et tourmentée. J’eus des oppressions et des battements de cœur. Le bon vieux médecin de Montfort, qui me soignait, m’ordonna quelques remèdes, un régime dont je ne sentis d’ailleurs aucun bien. Alors, il dit à ma marraine :
— Cette jeune fille s’ennuie. Vous devriez la marier. Je connais un garçon charmant qui l’a entrevue à Montfort et ne l’a pas oubliée. Il me parle quelquefois de la petite brune aux yeux bleus. Je pense qu’il passerait sur les accidents de l’origine et l’absence de dot, car lui-même est fils naturel, ce qui ne l’empêche pas d’être arrivé à une belle situation. Voulez-vous que je vous présente mon ami ?
— Il faut d’abord que je sonde l’esprit de Marianne, répondit Mme Gannerault.
Le hasard m’avait fait entendre cette conversation. Aussi quand ma marraine me parla, assez maladroitement, d’un jeune homme que le docteur Guérin désirait nous présenter, je répondis spontanément :
— Je devine le but du docteur… Mais soyez convaincue, marraine, que le monsieur de Montfort perdra son temps.
— Mais enfin…
— Je ne veux pas me marier.
— Autrefois, cependant…
— Autrefois, vous-même, m’encouragiez à la résignation devant le célibat. J’ai profité de vos leçons. Je ne veux pas être épousée par compassion… ou par raison.
— Ce jeune homme t’aimera.
— Qui sait ?… Moi, je suis certaine de ne pas l’aimer, lui ni personne.
— Fille fantasque ! Tu ne sais ce que tu veux.
Mme Gannerault me parla quelquefois encore du « jeune homme de Montfort… » Elle voulut gagner Maxime à sa cause… S’il avait montré une irritation menaçante, peut-être par révolte, par orgueil, pour lui montrer que je ne le craignais pas, eussé-je accepté une entrevue. Mais Maxime ne sourcilla pas. Il répondit seulement :
— Marianne sait mieux que nous ce qu’elle doit faire.
Il ne fut plus question de l’inconnu, demeuré dans mes souvenirs sous ce nom plus vaudevillesque que poétique ; le jeune homme de Montfort.