Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/821

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des rideaux apparaissait surnaturelle. Dans quel lieu funèbre et charmant, dans quels limbes endormis sous un éternel crépuscule, se prolongeait le rêve que nous faisions ? Quel fleuve noir nous emportait aux bras l’un de l’autre, défaillant dans un désespoir enivré ? Je ne voyais plus… Je ne savais plus… Sur le lit où nous étions si lentement tombés, nous nous embrassions dans les ténèbres et nos lèvres n’avaient plus que des baisers et des soupirs. Mon peignoir léger ne me protégeait guère et je sentais la chaleur d’une poitrine haletante contre la mienne, une étreinte reconnue, des caresses qu’il n’était plus en mon pouvoir de repousser. Mais je ne songeais pas à fuir, pas plus qu’à me donner, pas plus qu’à me défendre. Je savais bien que tout cela n’était que chimère, hallucination, illusion… Des lueurs passaient sous mes paupières, des ondes innombrables couraient sur mon corps qu’oppressait je ne sais quelle anxiété angoissante jusqu’à la douleur. Cette douleur, Maxime l’étouffait sous ses baisers… Il m’avait prise…


XXIII

Sous les rideaux, maintenant, la nuit se faisait plus noire. Les yeux clos, sans une larme, sans un gémissement, je restais étendue aux bras de Maxime. Terrassé par la violence de la sensation qui m’avait affolée, il reprenait conscience de ses sentiments et de l’acte irréparable.

La cendre du soir tombait sur nous. Dans la demi-nuit de l’alcôve, j’ouvris mes paupières. J’osai regarder mon amant et je vis dans ses yeux cette même stupeur qui dilatait les miens, une sorte d’effroi sacré, une douceur d’agonie. Peu à peu, la vie suspendue reprenait son cours ; nos corps froissés s’étonnaient de leur étreinte, nos âmes anxieuses s’interrogeaient. Mais un souvenir précis me traversa comme un stylet et la protestation obscure de l’instinct, l’épouvante physique de la virginité perdue m’arrachèrent une plainte :

— Mon Dieu ! qu’ai-je fait ? Que vais-je devenir ?

Le flot bienfaisant des larmes jaillit. Je me reconnus, je me ressaisis, je m’affranchis brusquement de l’étreinte de Maxime. Il murmura quelques mots indistincts. Puis, inquiet, il se leva, alluma une petite lampe, prêta l’oreille aux rumeurs du silence, dans la maison endormie. Et, timidement, il s’approcha de moi.