Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/825

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rien tenté contre ta liberté et ta faiblesse, n’apprécient que le don conscient et consenti… Tu t’es éloignée ; je t’ai crue perdue… Et soudain tu es venue à moi avec des baisers et des paroles qui furent la douce promesse de l’amour.

C’est que nous étions de la même race, égarés dans des voies différentes, mais pareils par la révolte de nos cœurs et l’âpreté de nos vouloirs. Et si nos réticences et nos résistances nous ont si longtemps exaspérés, c’est que l’amour s’ébauche par des désordres et des heurts avant de s’achever en harmonie… Rappelle-toi ces phrases de sourde inimitié, nos luttes, nos haines… Et puis on se comprend, on s’accepte… Tout s’apaise. Les adversaires se réveillent unis.

Ma vie a un but. Mon âme a une foi. Tu as accompli le miracle. Tu m’as sauvé et délivré de moi-même par le sentiment d’une haute et douce responsabilité. En te donnant, tu m’as imposé des devoirs que j’accepte et que je remplirai sans défaillance. Si peu que je vaille, si médiocre et perdu que soit mon labeur, tu chériras en moi ton œuvre. Oh ! Marianne, souhaite que je vive pour que je revienne digne de ton amour, pour que nous vivions ensemble la vie, heureux ou malheureux, mais nous pardonnant beaucoup l’un à l’autre, parce que nous aurons beaucoup aimé.


Maxime.


XXV

Maxime est absent depuis deux ans. Dans la petite maison des Yvelines, je vis seule avec ma marraine. Chaque jour me révèle la médiocrité, la lâcheté, l’inintelligence du monde auquel je demande le travail qui doit payer le pain de chaque jour. Mais je ne me révolte plus. J’oppose à tout le silence d’un mépris tranquille et j’attends.

Mes jours passent gris et sans soleil… Qu’importe ? j’ai revendiqué ma part de bonheur sur la fatalité, sur les conventions, sur la misère de ma destinée de femme, sur l’impureté et la brutalité d’un homme. J’ai fait ma vie et conquis mon compagnon… Et quand je songe à celui qui, de l’autre côté des mers, travaille et souffre, je salue la victoire éclatante et proche de l’Amour.

Marcelle TINAYRE.
FIN