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LA NOUVELLE REVUE.

n’étaient point des révolutionnaires ; à peine y en avait-il deux ou trois parmi eux. La nécessité les avait rendus révolutionnaires. C’étaient des sages, des hommes de bon sens et de sang-froid, s’entendant aux besognes raisonnées et suivies, aptes aux énergies de détail, aux longs dévouements, mais mal faits pour une rupture solennelle, pour déchirer brusquement le passé et ouvrir l’avenir devant une race encore indécise sur sa mission, encore incertaine de ses pas. Ils ne regrettaient point ce qu’ils avaient fait, parce que le salut public leur avait semblé l’exiger ; mais ils en ressentaient une sorte d’effroi et presque inconsciemment se réjouissaient d’avoir une tâche à remplir dans leur État, un prétexte, par conséquent, pour ne pas rester à Philadelphie devant des devoirs inconnus et des responsabilités d’ensemble.

On les remplaça par des députés de second ordre dont les talents n’égalaient point la bonne volonté et qui se sentirent plus intimidés encore en présence de l’œuvre à accomplir que leurs prédécesseurs. Le moment exigeait des décisions promptes et surtout la volonté de les faire exécuter. Ils adoptèrent de bonnes mesures, mais ne voulurent pas savoir ce qui en résultait. Ils s’en remettaient aux États du soin de les appliquer, et les États, qui avaient d’abord regardé le Congrès avec inquiétude, lui prodiguèrent ensuite les expressions de leur dédain. Le langage des congressistes devint de plus en plus timide. Ils s’en tinrent à des discussions métaphysiques sur la Constitution qu’on les avait chargés de rédiger ou bien firent des plans d’avenir vagues et grandioses, sans intérêt immédiat et par conséquent sans portée. Cette Constitution, sortie enfin de leurs mains, n’avait rien d’effrayant pour l’indépendance des États, mais elle était effrayante pour l’avenir de la confédération. Elle n’établissait que des pouvoirs sans sanction. Le Congrès ne se donnait ni le droit de lever un impôt, ni celui de forcer les citoyens à l’obéissance. C’était l’ombre d’une Assemblée exerçant des ombres de droits. Quand cette œuvre législative fut achevée, il ne manquait pas de besogne. L’armée était dans le dénuement. Washington faisait entendre des plaintes continuelles et dénonçait l’inexécution de la plupart des mesures adoptées par l’Assemblée pour l’équipement et l’approvisionnement des troupes[1]. On se gardait de

  1. Lettres de Washington au président du Congrès (23 décembre 1777) et à Benjamin Harrison, speaker de la Chambre de Virginie (décembre 1778).