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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

pédanterie, il a pour lui son énergie, son intégrité, son ardeur au travail. Il est capable d’initiatives heureuses et hardies ; en 1798, au moment où les folies du Directoire et l’impudence de Talleyrand vont déchaîner la guerre, John Adams prend sur lui de renouer les relations qui déjà ont cessé ; son parti lui en veut et la nation l’accuse d’avoir compromis son honneur ; mais la postérité lui donnera raison. Jefferson, qui vient ensuite, affiche des habitudes démocratiques : il supprime l’apparat semi-royal dont Washington a entouré sa haute fonction. Il ne veut pas être traité d’Altesse ou d’Excellence, ni se rendre au Congrès dans un équipage à six chevaux, ni donner des audiences solennelles et recevoir des honneurs. Il affecte une simplicité qui charme la foule et choque les étrangers. C’est pourtant un aristocrate et du genre le plus raffiné. Ses plaisirs préférés sont ceux d’un grand seigneur : sportsman, musicien, brillant causeur, il parle avec aisance les langues étrangères ; l’antiquité classique lui est familière. Sa pensée est tour à tour originale et puissante ; il a des aperçus d’une profondeur déconcertante et d’amusants à-propos. Son imagination est enflammée, son raisonnement serré et sa conduite habile ; il y a en lui un singulier mélange de scepticisme ironique et de passion sincère et désintéressée. Sa popularité est un instant ternie, parce qu’en voulant défendre le commerce américain contre les conséquences du blocus continental de Napoléon, il manque de le ruiner. Malgré cela, la haine de ses ennemis n’empêchera pas sa mémoire de vivre dans le cœur de ses compatriotes, ni son influence posthume de s’exercer sur leurs sentiments et sur leurs actes. Madison, Monroë et Quincy Adams sont aussi des travailleurs et des lettrés. Ils ont exercé de hautes fonctions dans le gouvernement ou dans la diplomatie, portent des noms connus, appartiennent à un milieu social élevé. Sous Madison, la guerre, longtemps menaçante, éclate entre l’Angleterre et les États-Unis ; elle dure deux ans et se termine par le traité signé à Gand le 24 décembre 1814, qui ne résout rien et ne donne aux Américains qu’un avantage : celui de prouver que leur nationalité a bien réellement pris corps et va s’affirmant chaque jour. Ils l’ont prouvé déjà d’ailleurs en armant une flotte qui a déployé victorieusement le pavillon étoilé dans la Méditerranée ; la marine américaine est désormais à l’abri des corsaires algériens et tripolitains, et, chose singulière, la dernière venue parmi les