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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

Orléans[1] contre 12,000 Anglais qu’il a taillés en pièces. Voilà un beau titre de gloire, mais ce n’est pas un titre à la présidence. Le peuple en juge autrement. Il veut un militaire, il veut une poigne ; il ne serait pas très éloigné de vouloir un empereur selon la formule romaine, c’est-à-dire un général victorieux, sorti d’en bas et qui, sur le pavois, continuerait de reconnaître dans la démocratie l’origine et la sauvegarde de son pouvoir. Quel est donc ce peuple et d’où sort-il ? Les tables de recensement vont nous le dire. En 1800, il y a, aux États-Unis, 4,304,501 blancs, 893,041 esclaves et 108,395 nègres libérés. Dans ce total les coloniaux dominent ; ils forment le parti de l’ordre et du bon sens ; ils ont l’expérience de la liberté. Parmi eux beaucoup aiment l’Angleterre ; les autres la détestent ; tous l’admirent. Moralement ils ne sont pas détachés d’elle ; ils penchent encore du côté de ses méthodes, de ses croyances, de ses habitudes d’esprit. Mais il y a aussi des nouveaux venus qui sont turbulents, violents, pour lesquels les progrès lents, le travail régulier, le développement sans secousses n’ont point de charmes. Ceux-là sont des disciples de la Révolution française ; leurs sympathies lui ont été acquises dès qu’elle est sortie des voies légales et par cela même qu’elle en sortait. Ils ont applaudi Danton et Robespierre, excusé les massacres de septembre et les noyades de Nantes. On les a vus arborer la cocarde tricolore, chanter la Marseillaise, fonder des clubs jacobins, encourager l’agent français Genêt dans ses tentatives incorrectes pour compromettre les États-Unis vis-à-vis de l’Europe et les atteler au char de la France. Washington et Adams ont dû intervenir et n’ont pas triomphé sans peine de cette effervescence. En 1810, la population blanche atteint 5,862,004, tandis que les esclaves sont 1,191,364 et les nègres libérés 186,446. En 1820, les blancs ont augmenté de 2 millions, les esclaves de 350,000 seulement et les nègres libérés ont presque doublé. En 1830, enfin, les blancs sont 10,532,060, les esclaves 2,009,043 et les nègres libérés 319,599. De 1820 à 1830 il est arrivé 143,439 émigrants, dont la moitié seulement provient des Îles Britanniques et parmi ceux-là beaucoup sont irlandais. Les coloniaux (ils ne portent plus ce

  1. La bataille de la Nouvelle-Orléans eut lieu le 8 janvier 1815. À cette date, le traité de Gand qui mit fin à la guerre était déjà signé, mais la nouvelle n’en était pas encore parvenue en Amérique.