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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

et vieux rivalisèrent d’entrain et les circonstances vinrent en aide à leur courage. Des mines de fer et des dépôts de charbon d’une grande richesse furent découverts dans la Géorgie, le Tennessee, l’Alabama et y attirèrent les capitaux du Nord. D’autre part, on trouva le moyen de fabriquer de l’huile avec les graines tombées du cotonnier. Enfin le délicieux climat de la Floride et des régions environnantes fit éclore des stations hivernales dont la vogue devint une source de profits considérables. Les nègres ne furent pas les plus heureux. Leur conduite, pendant la guerre, avait pourtant été méritoire. Les uns, enrégimentés sous la bannière du Nord, s’étaient vaillamment battus ; les autres, demeurés dans le Sud, avaient veillé sur les femmes et les enfants des confédérés dont la vie se trouvait, en somme, à leur discrétion. La guerre finie, ils se sentirent désorientés ; ils n’avaient plus rien à attendre de leurs anciens maîtres et n’étaient point préparés aux responsabilités de la vie libre. Ils devinrent la proie des carpetbaggers[1] qui exploitèrent leur vanité. On put voir alors des domestiques des hôtels de Montgomery siéger dans la législature de l’Alabama et la Louisiane élire un sénateur et deux députés qui, pendant les vacances, servaient sur les paquebots du Mississipi, l’un en qualité de barbier, les autres comme garçons de chambre. Quant à la Caroline du Sud, la justice y fut administrée par un grand nombre de magistrats qui ne savaient ni lire ni écrire, mais dont la peau était irréprochablement noire. Ces choses ne durèrent pas. De 1869 à 1876 les blancs reprirent possession du pouvoir dans tous les États successivement. La Caroline du Sud, la Floride et la Louisiane furent recouvrées en dernier lieu et non sans peine. En 1877, les dernières troupes fédérales d’occupation se retirèrent. Depuis lors, leur intervention n’a plus été nécessaire. Il est entendu que là où les nègres possèdent la majorité ou même une très forte minorité, on ne

    proposé « au drapeau des vaincus » (the fallen flag). Le fils du général Lee était présent ; il se leva et dit : « Messieurs, ces temps ne sont plus. Nous n’avons qu’un seul drapeau, le glorieux étendard étoilé et, pour ma part, je ne prendrai mon fusil ni ne lèverai mon verre pour aucun autre. » Vit-on jamais une guerre civile se terminer de la sorte, sans désordres et presque sans rancunes ? Il est positif que l’Amérique a modifié certaines des lois de l’histoire.

  1. On nommait ainsi, à cause du sac de nuit en tapisserie qui constituait leur unique bagage, les aventuriers qui, après la guerre, se ruèrent sur le Sud et organisèrent en grand l’exploitation des nègres.