Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/518

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
510
LA NOUVELLE REVUE.

Non seulement les méthodes allemandes sont absolument contraires au génie d’un tel peuple, mais pour les appliquer les éléments font défaut. Le passé allemand est une mine inépuisable pour le savant ; la légende y double l’histoire ; le vrai et l’invraisemblable s’y côtoient ; partout des recoins obscurs où la lumière n’a jamais pénétré et qui renferment des trésors de génialité populaire ou d’information de détail. On comprend, rien qu’à voir cet ensemble compliqué de tours, de galeries, de donjons, de chemins de ronde, que l’investigation germanique, avec sa lenteur et ses minuties, soit née du désir d’en dresser un plan exact. Mais, en Amérique, où tout est neuf, où les géologues et les ethnographes ont seuls quelque découverte à espérer, qu’y a-t-il à débrouiller ? Où sont les manuscrits poudreux, les vieux grimoires, les longues généalogies, les inscriptions demi-effacées ? Et si tout cela fait défaut, à quoi bon allumer tous ces petits flambeaux bons à guider des explorateurs de catacombes et non pas à éclairer des constructeurs d’édifices cyclopéens ?

Ce qu’il faudrait à l’Amérique, ce sont des poètes audacieux, des romans populaires, quelque grande épopée nationale, une critique littéraire et une critique d’art analysant librement les productions du monde entier, des journaux traitant d’une manière très large les sujets de politique universelle et suivant de haut la marche des sociétés. La matière ne manque pas et le talent non plus. L’histoire américaine ouvre aux travailleurs d’imagination un champ vaste et fertile. La critique serait, là-bas, plus indépendante, et par conséquent plus aisée que partout ailleurs. L’attention du public est éveillée ; on lit énormément. Les professeurs tiennent un rang social très élevé. Les présidents des grandes universités sont des personnages considérables ; on recueille leurs moindres paroles. Harvard, Yale, Princeton, Columbia, sont des centres de savoir et d’étude sur lesquels tout ce qui pense a les yeux fixés. Un peu moins en vue, les universités de Pensylvanie, de Virginie, de Michigan, de Wisconsin, de la Louisiane, de Californie exercent pourtant une action énorme. La Johns Hopkins de Baltimore multiplie ses publications. Partout l’activité et le zèle débordent ; on voit des étudiants pauvres déployer des trésors d’énergie pour se procurer les ressources nécessaires à leur instruction supérieure et il s’agit d’une instruction qui ne les mènera à rien, qui, au point de vue pratique, ne leur sera d’aucune utilité ; on voit des profes-