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LA NOUVELLE REVUE.

Franklin, que les colonies avaient délégué pour appuyer auprès du roi et du parlement leurs revendications, « tout le monde ici se croit le souverain de l’Amérique ; chacun s’installe sur le trône avec le roi et parle dédaigneusement de nos sujets coloniaux[1] ».

Un an après son établissement, le droit de timbre fut supprimé ; les commerçants anglais, profondément atteints par l’interdit dont ils étaient l’objet, avaient eux-mêmes pétitionné dans ce sens. Le parlement couvrit sa retraite par un pompeux énoncé de ses droits, ce dont les Américains ne se formalisèrent pas, estimant avec raison que la victoire leur restait. Malheureusement, le parti de la sagesse ne prévalut pas, et bientôt de nouveaux impôts furent établis sur le thé, le verre, le papier, les couleurs. La résistance recommença. Alors le gouvernement britannique commit la faute impardonnable d’envoyer des troupes en Amérique et d’exiger des colonies qu’elles payassent pour l’entretien de ces troupes. Dès lors la guerre fut inévitable. Il était certain qu’un jour viendrait où les mousquets « partiraient tout seuls ». Les soldats anglais, qui occupèrent Boston, y vécurent dans un perpétuel et irritant contact avec une population surexcitée envers laquelle ils faisaient montre de dédain et d’arrogance. On avait espéré lasser les Américains ; on ne faisait que rendre leur solidarité plus complète. Les assemblées coloniales, dont le parlement prononçait la dissolution, allaient tranquillement se réunir dans quelque local privé pour y continuer leur besogne législative ; elles opposaient des fins de non-recevoir aux sommations des gouverneurs et continuaient à donner en toute occasion des assurances de fidélité à la couronne. Georges iii reçut un nombre considérable d’adresses dans lesquelles ses « loyaux sujets d’Amérique » lui exposaient leurs griefs en le priant « humblement » de les prendre en considération. « J’ai toujours pensé, écrira plus tard Madison[2], que le rétablissement des relations coloniales avec la mère patrie, telles qu’elles exis-

  1. Franklin, cité à la barre de la Chambre des communes le 28 janvier 1766, y fut longuement interrogé. Son interrogatoire ainsi que la conversation de Georges III avec le gouverneur du Massachusetts, Hutchinson, quelques années plus tard, constituent des documents du plus haut intérêt, en ce qu’ils nous font connaître l’état d’esprit des chefs du mouvement américain et celui de la cour et du gouvernement britanniques à ce moment décisif de leur histoire.
  2. Lettre de Madison du 8 janvier 1828.