Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

et confisquer, des facilités spéciales[1], nullement conformes aux principes du droit des gens. Craignant pour ses régiments irlandais et anglais le contact des idées républicaines et les fatigues d’une campagne qui ne paraît guère les enthousiasmer, elle se procure des mercenaires allemands. Le landgrave de Hesse lui prête 12,000 hommes ; le prince de Waldeck, le duc de Brunswick, le margrave d’Anspach, le prince d’Anhalt-Zerbst, 5,000. Sans doute, cela coûte cher, car il faut payer non seulement les hommes, mais les princes auxquels on les loue, sans parler du droit de douane sur les bestiaux que le roi de Prusse exige quand les mercenaires traversent son territoire. Frédéric n’aime point cette manière de faire la guerre. Elle n’en est pas moins avantageuse, car la petite armée du landgrave est fort bien équipée et entraînée, et les Anglais conserveront ainsi leurs forces en réserve pour le cas où la lutte se prolongerait et où la fortune demeurerait indécise. En attendant, la mer, qui leur est domaine, va se couvrir de voiles. Ils bloqueront les côtes, saisiront les neutres, intercepteront les convois.

En face de l’Angleterre se dresse un pays en formation. Il n’a pas encore de nom ; on lui en cherche un. La souveraineté n’y est pas fixée. Elle ne peut l’être que si chacune des provinces qui le composent et qui vivent d’une vie propre abdique une portion de son indépendance et renonce à exercer certains de ses droits. On a vu dans l’histoire des peuples rompre les liens qui les attachaient à d’autres peuples ; on en a vu peut-être improviser des bataillons pour demeurer libres ; en a-t-on jamais vu qui fussent obligés de se battre pour leur foyer avant de l’avoir construit, de mourir pour leur drapeau avant de l’avoir tissé ? Une nationalité existe réellement par le symbole qui la représente devant le monde, qu’il soit politique ou religieux. Ici, le symbole est à trouver. Il y a une armée, mais on ne sait pas au nom de qui elle agit ni quelle mission elle a reçue. Il y a un congrès ; mais si son rôle reste indéterminé, les pouvoirs de ses membres sont très limités. Il y a une opinion publique, mais elle n’a ni guide ni centre, puisque la capitale n’est pas plus désignée que le chef. Les Américains n’ont, en somme, qu’un seul atout dans leur jeu ; ils sont supérieurs individuellement à leurs adver-

  1. Les prisonniers américains furent traités par leurs vainqueurs avec une barbarie sans égale. Il en mourut 11,000 de misère et de maladie.