Page:La Nouvelle revue française, année 29, numéros 329 à 334, 1er décembre 1941.djvu/635

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Voici le jardin de pavots,
 Ma poitrine,
Il est fermé de marbres hauts
 Et d’épines.

 Etc.


Ce sont là les seuls vers de lui qui me soient tombés sous les yeux.

En tout cas Jouhandeau, en dépit de ses dons aigus d’observation, n’est pas un romancier, je veux dire un homme de la race de Balzac ou de Dostoïewsky.

Et c’est peut-être pourquoi je préfère ses œuvres les moins romanesques. D’ailleurs, il convient d’admirer à notre époque le courage nécessaire pour publier un simple recueil de contes (genre absurdement peu goûté du public, car un recueil de contes demande, implique une dépense d’inventions, d’imagination, de créations poétiques beaucoup plus qu’un roman qui n’est souvent rien autre chose qu’une nouvelle étirée en longueur grâce à quelques descriptions oiseuses et à quelques analyses psychologiques superflues).

Il faut plus de courage encore pour publier, tel l’Arbre de visages, une simple suite de notes, de marginalia, de réflexions, d’observations psychologiques, œuvre de moraliste, pourtant singulièrement goûtée dans la littérature française d’autrefois.

Là encore la personnalité de M. Jouhandeau est troublante et au moins double.

Il semble osciller entre une imagerie mystique dont nous reparlerons et un réalisme pessimiste qui est de mode, d’ailleurs, depuis le naturalisme et le Parnasse (Zola, Flaubert, Leconte de Lisle) et qui plus près de nous s’est vu baptiser populisme (Céline ou Sartre) ou jeune pessimisme américain (le représentant le plus violent me semble Erskine Caldwell).

Sur ce plan, M. Jouhandeau semble bien ressentir le tourment de son époque. Depuis l’époque romantique tous les écrivains de valeur semblent combattre à qui dressera le réquisitoire le plus cruel contre l’humanité. De Zola à Flaubert, de Huysmans à Bloy, la cruauté s’avive avec l’âge qui passe, se crispe de sanglots et sanglote d’amour.

Et c’est précisément ici qu’il conviendrait de parler de ce que dans son langage M. Jouhandeau aimerait sans doute appeler sa « différence essentielle » devant l’éternité.

Certes, il sait être cruel. Mais d’autres le sont mieux que lui. Et dans le domaine de l’observation réaliste il cède même parfois à la facilité.

À moins qu’il ne s’agisse d’un attrait démoniaque pour le mauvais goût (l’Arbre de visages, p. 199, « Julie le laitier » : histoire ressassée