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assimilé quelques-uns ces préceptes diplomatiques et philosophiques exposés par Machiavel, Nietzsche et Treitschke. Fichte, dès l’hiver de 1807-8, à l’Université de Berlin, a fait au peuple allemand un appel qui peut être considéré comme le premier symptôme important et l’origine de l’état d’esprit actuel des Allemands. Mais ici l’analogie disparaît. Si l’Amérique et la France ont combattu pour l’indépendance et la liberté politique et morale, l’Allemagne combat pour établir partout le despotisme militaire. Un peu plus loin nous connaîtrons sa doctrine dans toute son étendue ; mais nous n’y sommes pas encore arrivés.

VII.

J’ai souvent pensé, dans ces derniers temps, à ces vingt et une locomotives roulant sur les bords du Rhin. Elles étaient un symbole. Elles étaient l’image de la Maison de Hohenzollern ; elles portaient César et sa fortune, qui avait commencé bien avant que les locomotives fussent inventées. Le 19 juillet 1870 est une de ces dates dont l’importance ne reste pas toujours la même, mais va croissant ; elle croît encore et elle sera une des dates capitales de l’histoire avant d’atteindre son entier développement. Des locomotives plus puissantes que celles de 1870 ont remorqué vers la France un désastre plus grand, plus hideux encore ; mais ce fardeau de malheur est de la même espèce ; il fait partie de la même éclosion de matérialisme ; il est sous l’influence de l’éclipse morale dont 1870 et 1914 sont des signes, mais non tous les signes.

À tout cela se rattache l’effort des peuples pour rentrer en possession de leur âme. Examinez 1870 au point de vue que voici : à la suite de cette guerre, la France a repris son âme qu’elle avait confiée à un empereur et l’a rendue au peuple ; à la suite de cette même guerre, l’Allemagne a confié son âme à un empereur. La France vaincue est débarrassée des Bonapartes ; l’Allemagne victorieuse est enchaînée à son Hohenzollern. Avec le recul de quarante-cinq ans quelle signification prennent ces deux événements contraires ! Et, envisagés au même point de vue, les deux mots de défaite et de victoire acquièrent un sens nouveau et se contredisent mutuellement. Si notre foi démocratique n’est pas une vaine illusion, c’est la France qui alors a avancé, c’est l’Allemagne qui a reculé. Mais au mois de juin dernier il ne paraissait pas en être ainsi.

VIII.

Si nous n’en avions pas vu tous les développements, la situation de l’Allemagne serait absolument incroyable. Ce qui est incroyable aujourd’hui, c’est qu’elle ait pu sauter à la gorge d’un monde étonné et pris à l’improviste. Maintenant, depuis qu’elle a fait ce bond sauvage, le diagnostique de son cas a été fait souvent et exactement — cependant il avait été fait antérieurement, de façon remarquable, par un Belge, le Dr. Charles Saroles ; mais les prophètes ne sont guère écoutés que par la postérité. Le cas de l’Allemagne relève de la pathologie,