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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitre VII).djvu/5

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dirait pas un ange… C’est un ange, vous dis-je, Loïse… petite Loïse… c’est votre mère qui est là… Loïse… ma fille… Dire que c’est ma fille qui est là !

Pardaillan regardait cela.

Il en était comme hébété, voulant s’en aller, ne pouvant pas.

Brusquement, la mère, toujours à genoux, toujours sanglotante, se tourna vers lui, se traîna vers lui, sur ses genoux, saisit ses mains, les baisa…

— Madame ! Madame !…

— Si ! si ! je veux embrasser vos mains ! c’est vous qui me ramenez ma fille ! Qui êtes-vous ? Laissez ! Je puis bien baiser vos mains qui ont porté ma fille ! Votre nom ? Votre nom ! Que je le bénisse jusqu’à la fin de mes jours !…

Pardaillan fit un effort pour se dégager.

Elle se releva, courut à sa fille, la serra dans ses bras, toute nue, puis la tendit à Pardaillan, et plus calme :

— Allons, embrassez-la !…

Le vieux routier tressaillit, leva sa toque, et doucement, timidement, baisa l’enfant au front.

— Votre nom ? répéta Jeanne.

— Un vieux soldat, madame… aujourd’hui ici… demain ailleurs… peu importe mon nom…

Et tandis qu’il parlait, le front de Jeanne se plissait… l’amertume de son désespoir lui revenait… avec un flot de haine pour le misérable qui s’était fait le complice d’Henri de Montmorency.

— Comment avez-vous ramené ma fille ? fit-elle soudain.

— Mon Dieu, madame, c’est bien simple… une conversation surprise… j’ai vu un homme qui emportait une fille… je le connaissais… je l’ai interrogé… voilà tout !

Pardaillan rougissait, pâlissait, bredouillait.

— Alors, reprit-elle, vous ne voulez pas me dire votre nom, pour que je le bénisse ?

— Pardonnez-moi, madame… à quoi bon ?…

— Alors !… Dites-moi le nom de l’autre !…

Pardaillan sursauta.

— Le nom de celui qui a enlevé la petite ?

— Oui ! Vous le connaissez ! Le nom du misérable qui a accepté de tuer ma fille ?

— Vous voulez que je vous dise son nom… moi !…

— Oui ! Son nom !… que je le maudisse à jamais !…

Pardaillan hésita une minute. Il cherchait un nom quelconque. Et subitement une pensée profonde descendit dans les obscurités de cette conscience, pensée de remords, et aussi pensée rédemptrice…

Un peu pâle, il murmura :

— Eh bien, tenez, madame, vous avez raison…

— Le nom de l’infâme !

— Il s’appelle le chevalier de Pardaillan !…

Le vieux reître jeta le nom d’une voix sourde, et s’enfuit, peut-être pour ne pas entendre la malédiction qui éclatait sur les lèvres de la mère…